Régimes pendant le traitement d’un cancer

Gare aux apprentis sorciers !

Par
Publié le 22/05/2018
Article réservé aux abonnés
Jeûne, restrictions, compléments alimentaires… Ces pratiques d’apparence anodine séduisent de nombreux patients pendant le traitement d’un cancer. Ces thérapies alternatives nutritionnelles loin d’optimiser les chances de rétablissement peuvent être dangereuses. Le point avec le Pr Bruno Raynard, médecin nutritionniste à Gustave Roussy.
regime cancer

regime cancer
Crédit photo : PHANIE

Le Réseau National Alimentation Cancer Recherche (NACRe) a publié le 30 novembre 2017 un rapport d’expertise collective « jeûne, régimes restrictifs et cancers » disponible gratuitement sur www.inra.fr/nacre (dépliants pour les professions de santé et pour les patients).

Ce travail d’expertise collective est basé sur l’analyse socioanthropologique d’un corpus d’environ 60 ouvrages grand public et d’une revue complète de la littérature scientifique sur les régimes restrictifs. Celle-ci a permis d’identifier 540 publications dignes d’intérêt (sur un total de 5 000). Parmi celles-ci, seules 13 études cliniques évaluaient le jeune, le régime cétogène ou la restriction calorique au cours des traitements des cancers.

« Ces 13 études s’avèrent de mauvaise qualité méthodologique. Seules deux d’entre elles sont randomisées et contrôlées. Aucune étude n’apporte de résultat probant permettant d’affirmer qu’un régime pourrait limiter la toxicité ou augmenter l’efficacité de la chimiothérapie ou d’un autre traitement » tient à préciser le Dr Raynard.

L’engouement médiatique et du grand public sur les régimes pendant le cancer repose sur une littérature expérimentale (modèles animaux ou cellulaires) dont il est impossible d’extrapoler une vérité clinique. L’homme n’est pas une souris. « La diffusion des messages très positifs sur ces thérapies soutient un marché très lucratif (cliniques privées de jeûne en Allemagne et en Suisse, associations à but non lucratif en France avec stages payants…) », dénonce le Dr Raynard.

Cette absence d’evidence-based medicine, conduit à ne pas recommander les régimes restrictifs (cétogènes, hypoprotidiques ou hypocaloriques, jeûne) pendant les traitements. « Raison supplémentaire d’éviter de les suivre, 9 études sur les 13 se sont accompagnées de perte de poids ou de masse musculaire. Or il est prouvé qu’une perte de poids ou de masse musculaire au cours du traitement d’un cancer peut avoir un impact pronostic négatif (augmentation du risque de toxicité des chimiothérapies voire diminution des possibilités de régression tumorale). Les chimiothérapies peuvent augmenter la vitesse de destruction musculaire, n’en rajoutons pas avec des régimes restrictifs », souligne le spécialiste

La tisane qui antagonise la chimiothérapie

Les médecins ne prennent pas toujours le temps d’expliquer le pronostic de la maladie et ce que peut apporter le traitement. De leur côté les patients essayent de se réapproprier une partie de la prise en charge de leur cancer avec des traitements alternatifs. Plus de 55 % des patients sous anticancéreux prennent des compléments alimentaires. La moitié ne le dit pas à son docteur (le patient croit aux bienfaits du régime, le médecin ne lui pose pas la question et jusqu’ici ne s’intéressait pas aux traitements alternatifs). « Certains traitements alternatifs, notamment les compléments alimentaires, peuvent interagir de façon très dangereuse avec les traitements anticancéreux ! Le patient doit absolument en parler avec son cancérologue. Et le médecin doit absolument demander à son patient s’il prend des compléments alimentaires ou suit un régime. Il a été montré (1) que certains compléments alimentaires, par exemple des tisanes contenant du millepertuis ou des cocktails d’antioxydants peuvent antagoniser les chimiothérapies ! » souligne le Dr Raynard.

Quant aux régimes, les études manquent pour évaluer leur potentiel effet (synergique, additif, voire antagoniste) sur l’efficacité des traitements anticancéreux. Pour répondre à ces questions, la recherche fondamentale et expérimentale doit progresser.

Thomas-Schoemann A. et al.; Bull. Cancer 2011;98:645-653.

Dr Sophie Parienté

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3437