À la mi-décembre, les syndicats de pharmaciens, les groupements, les grossistes-répartiteurs, le GEMME et le LEEM ont reçu, comme il est d'usage, une convocation pour participer à une réunion du Comité de suivi des génériques (CSG). En amont de ce rendez-vous, prévu le 26 janvier, le Comité économique des produits de santé (CEPS) a dévoilé ses objectifs en matière de baisses de prix sur les médicaments génériques. « Ensuite, lors de la réunion, on se concerte, on fait des remarques, puis on s'en va, explique Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Le CEPS délibère seul, puis nous donne sa réponse une semaine après, le plus souvent sans tenir compte de nos observations. C'est ce que l'on vit depuis 10 ans », ajoute-t-il non sans dépit.
Le 26 janvier dernier, le CEPS n'a pas eu le loisir d'écouter ce que les représentants des pharmaciens et des industriels avaient à dire. Et pour cause, ces derniers ont tout simplement boycotté la réunion. En 25 ans d'histoire du médicament générique, jamais tous ces acteurs ne s'étaient décidés à faire l'impasse ensemble sur la réunion du CSG. « Nous ne voulions pas donner l'impression de cautionner ce système, qui est néfaste pour l'accès aux médicaments. Peut-être aurions-nous dû boycotter cette réunion plus tôt », va jusqu’à dire Philippe Besset.
Septième baisse en 10 ans pour l'ésoméprazole
Année après année, le CEPS impose des baisses de prix sur les médicaments génériques. Cette année 2023 ne fait pas exception à la règle. Pourtant, 2023 est une année particulière. Amoxicilline, paracétamol, corticoïdes, insuline… les ruptures et tensions d'approvisionnement ont atteint un niveau d'une ampleur inédite ces derniers mois. L'absence, ou quasi-absence, de certaines spécialités fait la une des médias, choque les patients, oblige les pharmaciens à consacrer près de 12 heures par semaine à trouver des solutions pour substituer les produits manquants… Devant l'ampleur de ce problème, les acteurs de la chaîne du médicament espéraient, peut-être sans y croire vraiment, que le CEPS réviserait à la baisse ces objectifs d'économies sur les génériques. Il n'en fut rien. En découvrant le montant des économies espérées par le CEPS pour 2023, 67,4 millions d'euros, pharmaciens et laboratoires sont tombés des nues. Sept molécules sont visées : bisoprolol, metformine, ésoméprazole, pantoprazole, atorvastatine… Ces dernières « concentrent 6,7 % du marché des génériques français et 115 millions de boîtes par an », résume Stéphane Joly, président du GEMME. Sont donc concernés des antidiabétiques, des antihypertenseurs, des inhibiteurs de la pompe à protons (IPP)… Des médicaments de première intention, « présents dans l’arsenal thérapeutique de tous les médecins généralistes de France. C'est la liste des ruptures de demain », prédit déjà Philippe Besset, avec amertume.
« Certains produits risquent d'être arrêtés »
Les économies visées par le CEPS pour 2023 ont donc été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. « La stratégie du CEPS n'est plus tenable, affirme Pierre-Olivier Variot. On ne peut plus tolérer ces baisses de prix, qui risquent d'appauvrir encore davantage le marché des médicaments en France. Le médicament est la seule variable d’ajustement pour contenir les dépenses de santé, ce n'est plus possible, il nous faut désormais une vraie stratégie », exige-t-il. « Depuis 2005, la stratégie des gouvernements successifs c'est de financer l'innovation en baissant le prix des médicaments matures, renchérit Philippe Besset. Il faut bien sûr financer l'innovation mais pas au détriment des médicaments de première intention », demande le président de la FSPF.
La pilule est aussi dure à avaler pour les génériqueurs, déjà pénalisés par l'inflation et l'impact chaque année plus important d'une clause de sauvegarde qui ne s'appliquait pas aux médicaments génériques avant 2017. « Chaque laboratoire aura entre 150 et 200 médicaments en marge négative avec ces baisses de prix, le risque désormais c’est que certains produits soient arrêtés », avertit Jérôme Wirotius, vice-président du GEMME. Ce dernier ne manque pas de rappeler que « le prix des médicaments en France est déjà très bas par rapport à la moyenne européenne ». Pour illustrer son propos, Jérôme Wirotius cite l'exemple de la metformine. « Le CEPS nous demande de passer de 1,27 euro la boîte à 1,11 euro. Nous vendons déjà le comprimé 0,037 centime… », fait-il remarquer. Autre exemple parlant, l'ésoméprazole, qui s'apprête à subir sa 7e baisse en 10 ans et est désormais vendu à 3,36 euros la boîte.
Des hausses ciblées demandées sur certains médicaments
Le vice-président du GEMME voudrait désormais que l'on regarde ce qui se passe chez certains de nos voisins. « L'Allemagne et le Portugal ont décidé d'augmenter le prix des médicaments de première intention. Des pays ont donc compris qu'il fallait augmenter leur prix et non les baisser, alors qu'ils sont déjà sur des prix plus élevés que les nôtres. » Des situations et des décisions contrastées entre les différents pays de l'UE qui ne font que favoriser « une concurrence délétère », dénonce Philippe Besset. Le président de la FSPF estime, même si cela semble très compliqué, qu'il faut parvenir à imposer « un prix européen du médicament comme on l'a fait pour les vaccins anti-Covid ».
Dans un premier temps, il s'agira premièrement de faire entendre un certain nombre de revendications sur le plan national. « Nous demandons l'application de certaines mesures en urgence : un moratoire sur la baisse des prix en cours, des hausses ciblées sur des médicaments à faible prix, fabriqués en France ou en Europe et à intérêt thérapeutique majeur, une accélération du développement des médicaments hybrides et des biosimilaires et, enfin, l'élargissement du répertoire des génériques », liste Jérôme Wirotius. Globalement, les génériqueurs veulent rappeler aux décideurs qu'il serait peut-être bon de ne plus pressuriser l'économie du générique alors que ces médicaments permettent déjà, eux-mêmes, de substantielles économies.
Au comptoir, « désigner les vrais coupables »
Au comptoir, les pharmaciens risquent de passer encore de longues semaines à gérer des ruptures et à tenter d'expliquer aux patients pourquoi il est si difficile de trouver des médicaments dans le 6e pays le plus riche au monde (selon les données du Fonds monétaire international). Pour Laurent Filoche, président de l'Union des groupements pharmaciens d'officine (UDGPO), il est temps que les pharmaciens « désignent les vrais coupables » lorsqu'ils sont interrogés par leurs patients. « On met souvent le problème des ruptures et tensions sur le compte de la situation en Chine, de la guerre en Ukraine… mais il faut mettre en avant le fait que ces pénuries sont dues à la politique française. Il est donc temps pour nous de pointer du doigt les responsables, le CEPS et le gouvernement, dont la politique n'est plus justifiable ». L'UDGPO s'est ainsi associée à la démarche de l'USPO, qui a envoyé une affiche aux pharmaciens pour qu'ils interpellent leurs patients sur la problématique des pénuries. Une affiche qui comporte le message suivant : « Vous attendez vos médicaments, nous (les pharmaciens) attendons des réponses ».
Élisabeth Borne veut des solutions pour lutter contre les pénuries « dans les trois mois »
L'État aura-t-il entendu le message porté par les syndicats, les groupements et les industriels du médicament ? Il est encore bien trop tôt pour le dire mais, du côté de l'exécutif, on semble quand même avoir (enfin) compris l'urgence de la situation au sujet des pénuries et l'importance de trouver des solutions pour y remédier. Le 26 janvier, la Première ministre, Élisabeth Borne, a annoncé le lancement d'une mission interministérielle chargée de formuler des premières pistes sur la « régulation » et le « financement des produits de santé ».
Dans le détail, l'objectif de ces travaux est d'établir un diagnostic « sur notre modèle actuel de prise en charge et sur ses voies d'amélioration, gage du renforcement de notre compétitivité industrielle et d'une meilleure lutte contre les tensions d'approvisionnement et les pénuries », a résumé Élisabeth Borne. Les membres de cette mission devront rendre leurs premières recommandations « d'ici à trois mois ». Nouveau « comité Théodule » ou point de départ d'une nouvelle doctrine en matière de fixation du prix des médicaments ? Seul l'avenir le dira.
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