« Le Ventus Australis » a jeté l’ancre à une petite encablure d’un gros rocher hostile. À la passerelle, on observe la météo. Le bateau se balance dans une houle profonde. Ici, on parle de brise. Sur le lac Léman, ce serait une tempête ; en Bretagne, du gros temps. Enfin, on a mis les Zodiac à la mer. Ils profitent d’une vague pour se poser sur une petite plage de galets au pied d’une haute falaise.
Un escalier en bois accroché à la roche mène au sommet. Là, une claque de vent vous attend. Une vaste lande couverte de tourbe et d’herbes sauvages, des plantes qui n’ont pas peur des bourrasques et du sel. Et toujours des rafales intenses qui effacent même la mémoire des hommes. Plus loin, on aperçoit un phare, une maison et une chapelle. L’île est habitée. La Marine chilienne confie la surveillance du lieu à un sous-officier, qui passe un an avec sa famille sur cette terre sauvage où les distractions sont rares.
L'âme des marins morts
Sur un promontoire, un monument a été dressé à la mémoire des cap-horniers. Cette structure de 7 mètres de haut, œuvre du sculpteur chilien José Balcells Eyquem, représente un cormoran. Elle est formée de cinq plaques d’acier capable de supporter des vents allant jusqu’à 200 km/h. On a inscrit sur une stèle de granit un poème de Sara Vial : « Je suis l’albatros qui t’attend/Au bout du monde/ Je suis l’âme en peine des marins morts/Qui ont doublé le cap Horn. » Car ces eaux sont un vaste cimetière marin. Dix mille marins ont péri au cours des siècles, engloutis par des vagues démesurées. Huit cents voiliers disloqués, anéantis, reposent au fond de l’océan.
« Le Ventus Australis » est parti de Punta Arenas, encerclée de collines déboisées et tapissées de lupins en fleurs. Ici, tout s’est mêlé pour laminer la pointe extrême du continent sud-américain. Le vent, le froid, la glace et les pics décharnés des Andes. De la Patagonie à la Terre de Feu, un immense escalier s’en va mourir dans une mer peuplée d’icebergs.
Patte d'ours
Magellan, qui était Portugais et connaissant les terres arides, puisqu’il était né dans le Tras-Os-Montes, avait été frappé par la taille des pieds des Indiens enveloppés de peaux de guanaco. Il les baptisa « patagon » (patte d’ours). Les Onas et les Yamanas, qui étaient des navigateurs, occupaient la Terre de Feu. Une île, puisqu’elle est séparée du continent par le détroit de Magellan. C’est en contemplant les milliers de feux allumés par les Indiens que le navigateur portugais lui donna ce nom.
Le bateau remonte les détroits, les canaux et les labyrinthes perdus. Il avance dans l’avenue des glaciers. L’un des plus spectaculaires est le glacier Garibaldi. Un immense vomissement blanc, impitoyable comme une coulée de lave. Mais sans fureur et sans bruit. Même les blocs de glace qui se détachent à intervalles réguliers glissent dans l’eau sans le vacarme qui devrait accompagner un pareil anéantissement. Juste un claquement sec et le grognement ouaté d’une déglutition.
Sur les îlots Tuckers cohabitent des gorfous dorés avec leur aigrette jaune, des cormorans, des goélands et les terribles skuas au plumage marron, tueurs d’oisillons et voleurs d’œufs. Les manchots de Magellan vivent dans des terriers creusés dans le sable. Ils observent des règles sociales très élaborées : éducation des poussins, tours de garde, apprentissage de la natation et de la pêche.
Partout la nature est en état de résistance. Des pierres sans cœur et des cailloux sans âme. Une végétation de toundra, où émergent des bataillons d’arbres blancs et secs. Même les arbustes que le Bon Dieu a mis là en se disant qu’ils avaient leur chance survivent comme des bonsaïs. Au pied des arbres torturés poussent aussi des graminées fragiles, des fleurs charnues, des corolles délicates auxquelles les botanistes ont vite donné un nom latin.
Darwin et les Yamanas
Halte dans la baie Wulaia, sur la côte occidentale de l’île de Navarino, site historique qui fut l’un des plus grands établissements indigènes des canotiers Yamanas. En 1833, Charles Darwin avait accompagné le capitaine FitzRoy lors de sa
deuxième mission d’exploration hydrographique et cartographique à bord du « HMS Beagle ». Une stèle rappelle que naturaliste anglais allait trouver ici confirmation de sa théorie de l’évolution des espèces dans l’observation des Indiens. Pourtant, semble-t-il, Darwin n’en a pas gardé de bons souvenirs. Dans son « Journal », il évoque son séjour en Patagonie comme un voyage au pays de l’horreur et prétend y avoir vu le diable dans les yeux. Il décrit les Indiens du bout du monde qu’il découvre comme « des primates à peine élevés au-dessus du singe, le chaînon manquant entre l’homme et l’animal » !
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