ALLER en Arménie en 2015, c’est voyager dans l’Histoire, plonger dans l’horreur d’un génocide et découvrir une jeune nation soumise à quantité d’influences. Ce pays singulier est de la taille de la Belgique. Hormis la plaine brûlée de l’Ararat, tout n’est que montagnes. Son symbole, le mont Ararat (5 165 m), illumine de ses neiges éternelles la capitale Erevan. Hélas, au grand dam des Arméniens, il est en Turquie. Et les relations avec le voisin sont au point mort. Les Turcs refusent de reconnaître le génocide qui entraîna l’exil, en 1915-1916, de milliers de rescapés. Ceux-là formeront le socle d’une diaspora estimée à 7 millions de personnes.
Les frontières sont aussi fermées avec l’Azerbaïdjan. Depuis la guerre remportée en 1994 après la sécession du Haut-Karabagh, les soldats arméniens protègent ce territoire soumis à la pression azéri. Seuls exutoires du pays : la Géorgie, au nord, et l’Iran, au sud. Autant dire une nation enclavée, contrainte de se placer, depuis l’indépendance en 1991, sous la protection russe.
Géopolitique mise à part, l’Arménie est aussi un pays fascinant. À l’ouest d’Erevan, la route conduit vers l’un des piliers de son identité : la religion. Etchmiadzine est le siège de l’église apostolique arménienne, un culte chrétien oriental vieux de 1 700 ans. Croyant ou non, on ne peut rester insensible à la piété, aux chants et aux odeurs de ces églises sobres et sombres, dont certaines, tel le monastère creusé dans la roche de Gueghard, près d’Erevan, remontent au Moyen Âge voire au-delà. L’Arménie est le premier pays à avoir adopté le christianisme comme religion officielle, en 301.
Le voyage est scandé, sans ennui, sur des sites toujours grandioses, par la visite d’églises et de couvents reculés. Le plus connu est Khor Virap, belvédère monastique au pied du mont Ararat. Noravank séduit par son isolement, au sortir d’un canyon. Les deux églises du lac Sevan dominent l’immense étendue de cette « mer intérieure », villégiature des Arméniens. À la frontière géorgienne, Haghbat déploie ses édifices religieux en pierre grise autour de l’église Saint-Signe (991). Reste Tatev. Cet autre monastère, perché au sud de l’Arménie, s’atteint depuis 2010 par le plus long téléphérique du monde (5,7 km).
Villages d’altitude.
Quand l’architecture ne flamboie plus, les paysages prennent le relais. Sur des routes défoncées – point faible du pays –, les itinéraires affrontent des cols aux panoramas prodigieux. À 2 410 m, le col de Sélim et son caravansérail (XIVe siècle) marquent la frontière entre le sud et le nord. Au printemps, sur fond de sommets blancs et de plateaux désolés, la neige s’efface au profit de fleurs multicolores, où s’aventurent des bergers et leurs troupeaux de moutons.
Ils ne sont pas les seuls. De retour de Dilijan, capitale de la « Suisse arménienne », aussi boisée que le sud est sec et rocailleux, la route traverse en altitude Fioletovo et Lermontovo. Il s’agit de deux villages molokans, du nom d’une communauté russe née au XVIe siècle, après leur refus d’épouser les fastes de l’église orthodoxe. La route longe ensuite le mont Aragatz (4 092 m). Ses versants sont habités l’été par des yézidis nomades, éleveurs kurdes formant la plus grande minorité arménienne (40 000 personnes). On les dit heureux, n’ayant pas à subir les foudres dont sont victimes leurs cousins irakiens et syriens.
Succulente cuisine.
Erevan est une capitale à taille humaine où la vie s’écoule tranquillement. Presque trop ? La convivialité arménienne n’est pas en cause. Elle déverse chaque jour des grappes de jeunes et de flâneurs enjoués. Au Goum survolté attendent les joies du négoce légumier ; au Matenadaran (18 000 manuscrits anciens, exceptionnels) et à la Galerie nationale, les plaisirs de l’art. Dans les restaurants, les agréments de la table. Car on mange divinement en Arménie. Crudités, salades, madzun (lait caillé), lavach (pain fin), banir (fromage), viandes grillées ou hachées, poissons (truites, esturgeons), fruits (abricots…) sont succulents. Sans compter les vins (excellents karas) et le brandy, un cognac de haute volée. L’économie, en revanche, est exsangue. Et les jeunes quittent le pays pour rejoindre la diaspora.
En cette année commémorative, on ira aussi se recueillir au mémorial du Génocide. Dominant Erevan, le monument et son musée rappellent le drame arménien, qui vit disparaître 1,5 million de personnes. L’effroi devant les documents accablants n’enlève rien au plaisir de parcourir ce pays, attachant, francophile et fier de sa différence.
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