Tous deux issus du milieu rural du centre de la France, Arnauld et Marie-Claire Cabelguenne se rencontrent à la faculté de pharmacie de Tours. Là, outre leur amour, ils s’accordent sur un point : jamais ils ne travailleront en officine.
Un choix en connaissance de cause pour Marie-Claire dont la sœur aînée possède une pharmacie : « Cela ne me tentait pas du tout, je voulais faire de la chimie », reconnait-elle. Brillante scientifique, elle fait Maths sup, puis s’inscrit en Pharmacie dans une filière commune avec l’École supérieure de commerce. Elle obtient un DESS en droit de la santé et entre dans le monde de l’industrie. Elle sera responsable des affaires réglementaires chez Upjohn, Zeneca, Schering-Plough, Aventis Behring…
Arnauld, lui aussi, tourne le dos à l’officine : « Je ne voulais pas devenir « épicier », je voulais soigner, sauver des vies, devenir pharmacien pompier… » Il multiplie les stages : pompiers, SMUR… Ses cours lui donnent la passion de la toxicologie et ses stages de 5e année résument ses centres d’intérêt : cancérologie, toxicologie, pharmacovigilance. « Mon moteur, c’était mon implication auprès du patient, la proximité avec les soignants, le travail en équipes pluriprofessionnelles. » Un environnement qu’il trouve dans la recherche. Il fait une DEA de toxicologie, puis un doctorat (prédictions des réponses à la chimiothérapie en 2003). Mais il peine à trouver un poste de praticien hospitalier. Aussi, sur un coup de tête, il change de direction et entre dans l’industrie (BMS UPSA, puis Roche). Il y découvre le goût de l’entreprise, du commerce. Puis, au fil des années, il prend des fonctions managériales qui l’éloignent du patient. Jusqu’au jour où le décalage entre son poste et ses aspirations est tel qu’il s’effondre : « je me demandais ce que je faisais là ».
Quitter Paris
Le couple, qui vit à Paris depuis 1992, décide alors de partir vers le sud. En 2007, Marie-Claire rejoint de département cosmétique des Laboratoires Pierre Fabre, à Toulouse.
Arnauld travaille sur la création d’une start-up assurant le lien entre les patients sortant d’hospitalisation et les praticiens de ville. Trop tôt ? Le projet n’aboutit pas et, en 2007, il devient pharmacien hospitalier au centre anticancéreux Claudius Régaud de Toulouse. Là, il s’investit dans l’amélioration de la qualité et de la sécurité, mais butte sur la difficulté managériale du projet et quitte son poste en 2011.
Il se choisit alors trois voies d’avenir, effectuant de nombreux stages chez des producteurs de plantes médicinales, viticulteurs et pharmaciens : « J’ai contacté tous mes anciens collègues titulaires et fais un véritable tour de France des officines. » Il se forme également en phytothérapie et micronutrition.
Marie-Claire et Arnauld Cabelguenne optent alors pour un retour à la ruralité et… à l’officine. En 2015, ils reprennent la pharmacie de la Mélisse à Lectoure (4 000 habitants) dans le Gers : « L’environnement était de qualité, les gens très accueillants et il y avait un projet de MSP, explique Arnauld. C’est essentiel car je suis persuadé que l’officine de demain sera coopérative, devra mutualiser ses investissements (robot, livraisons) et travailler au sein d’une communauté pluridisciplinaire. »
De l’industrie au comptoir
Mais pour Marie-Claire, passer de l’industrie au comptoir, n’est pas aisé : « Il a fallu tout réapprendre : les interactions, parler en principes actifs, des milliers de choses à retenir… J’avais l’impression que mon cerveau ne suivait plus. Heureusement, l’équipe en place m’a beaucoup aidée. Sans elle, je n’y serais pas arrivée. J’avais également peur de perdre ma pratique de l’anglais, mais l’importante clientèle britannique du Gers a dissipé mes craintes. Enfin, j’ai découvert l’attachement aux patients et la difficulté à accepter leurs décès… »
Désormais à l’aise dans son nouveau métier, elle reprend en 2016, la petite pharmacie de Miradoux, village gersois de 500 habitants. Avec son mari, ils mutualisent les tâches de leurs deux officines, participent à la création de l’Association des professionnels de santé du Lectourois*, d’une Web série destinés à attirer de nouveaux médecins dans laquelle ils font tourner des centaines d’habitants, et au projet de centre de santé qui ouvrira fin 2019 à Lectoure. Ce projet de MSP porte le couple : « Je retrouve le plaisir de faire avancer un dossier, de faire travailler ensemble des gens différents… », explique Marie-Claire.
Arnauld, lui, pointe une menace planant sur l’avenir de l’officine : « Aujourd’hui, le talon d’Achille du pharmacien est qu’il achète trop cher son officine. Si l’on remboursait moins, on serait plus à l’aise pour s’engager dans les nouvelles missions. » Cela ne l’empêche pas de pratiquer bilans de médication, vaccination… Hors officine, il s’adonne à deux passions : la randonnée dans les Pyrénées et la culture des plantes médicinales. Il envisage même de produire des vins médicinaux avec un producteur d’Armagnac bio.
Épicier, enfin !
Et si le bonheur était dans l’officine ? « J’y ai découvert un sentiment de grande liberté, confie Marie-Claire. Contrairement aux laboratoires, nous sommes maîtres de notre travail. Et nous apprécions la beauté de cette région sans embouteillages et culturellement bien dotée. »
De quoi faire revenir son mari sur ses a priori de jeunesse : « Moi qui ne voulais pas être « épicier », j’ai une officine, je travaille sur la nutrition et les circuits locaux de production alimentaires… Je suis même impliqué dans la création d’une épicerie associative dans le village de Miradoux. »
Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais…
* L’Association des professionnels de santé du Lectourois regroupe 5 médecins généralistes, 1 médecin biologiste, 1 endocrinologue, 6 infirmières, 1 infirmière psychologue, 2 préparatrices en Pharmacie, 5 pharmaciens, 1 diététicienne, 2 orthophonistes, 2 pédicures-podologues, 1 aide-soignante, 4 kinésithérapeutes, 1 kinésithérapeute-ostéopathe…
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