J'étais pestiféré : les gens se détournaient de moi comme si j'avais le virus. Je les comprenais : je risquais en effet de l'avoir. Mais, eux, où avaient-ils trouvé leurs masques ? Au cours de l'une des mes rares prégérinations légales, muni de mon attestation, j'ai supplié ma pharmacie de me vendre des masques. J'ai fini par en obtenir quelques-uns et, depuis, j'avance masqué au supermarché, à la fois incognito et rassurant, normalisé en quelque sorte et ressemblant à s'y méprendre à tous les autres, un elfe, un hologramme, un anonyme, une vidéo de moi-même, mais ce n'est pas moi, c'est l'autre, ou mieux, un troisième. Le masque m'a blanchi, innocenté, déresponsabilisé. Il contient à lui seul tous les symboles d'un monde transformé à jamais. Mes concitoyens veulent des masques et, quand ils n'ont pas pu s'en procurer, ils entourent leur visage d'un foulard. Ricanement sardonique du Covid-19 qui contraint ceux qui se sont dressés contre le port du voile à se voiler eux-mêmes, hommes et femmes confondus. Une polémique est morte. Pour calmer ces 67 millions de plaideurs que nous sommes, rien de tel qu'une menace sanitaire qui remet en question nos idées, nos passions et nos comportements.
Humeur
J'avance masqué
Publié le 10/04/2020
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Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3594
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