Singulière manipulation à laquelle s’adonnait Chris Hopkins en 1994 pour collecter le venin de cônes, des gastéropodes marins aussi connus pour leur beauté que pour leur toxicité. Ayant gonflé une « capote », ce thésard du biologiste Baldomero M. Olivera (université de l’Utah) l’avait fixée sous un poisson qu’il avait ensuite « promené » au-dessus du lit sableux de l’aquarium où se dissimulaient des cônes affamés. Réponse immédiate : le dard d’un coquillage avait transpercé le latex avec une violence telle qu’il s’y était fiché et que le cône y demeurait suspendu après y avoir épandu son venin. Cette technique, perfectionnée par Chris qui adapta des tubes Eppendorf obturés par une membrane, permit dès lors de « traire » les mollusques sans les tuer et contribua de façon déterminante à la connaissance de leur poison.
La première description d’une piqûre de cône fatale, tardive dans l’histoire, avait été faite dans l’archipel des Moluques par le naturaliste allemand Georg Everhardt Rumphius (1627-1702) puis publiée dans un ouvrage posthume (1705). On sait désormais que les cônes qui s’attaquent aux petits poissons (la plupart se nourrissant de vers ou de mollusques) ont le venin le plus puissant. Hantant les océans tropicaux jusqu’à 200 m de profondeur, ils occasionnent des envenimations fréquentes, parfois mortelles (une trentaine de décès sont rapportés dans la littérature médicale).
Dès les années 1960, des biologistes suggérèrent que le venin des cônes puisse avoir un intérêt thérapeutique. Les peptides neurotoxiques extraits à la fin des années 1970 par l’équipe de l’Australien Robert Endean (1926-1997) furent regroupés en plusieurs sous-familles : ces conotoxines se révélèrent pour certaines antagonistes des récepteurs cholinergiques, pour d’autres inhibitrices sélectives de canaux ioniques, pour d’autres encore antagonistes NMDA.
Un cône, deux venins
La plupart des milliers de toxines composant ces venins restent inconnues mais certaines sont l’objet de toute l’attention des pharmacologues. L’une d’elles, la ω-conotoxine MVIIA, bloque les canaux calciques neuronaux : injectée par voie intrarachidienne, elle inhibe la transmission des influx nerveux algiques. Agréé en Europe et aux États-Unis dans le traitement des douleurs sévères, un analogue synthétique, le ziconotide (Prialt), est environ mille fois plus puissant que la morphine et actif sans accoutumance ni dépendance chez des patients devenus réfractaires à l’action des opioïdes. Son usage demeure restreint car il expose à une iatrogénie cognitive et neuropsychiatrique préoccupante. Une autre conotoxine antalgique inhibe, elle, la recapture de la noradrénaline. Des modifications structurales sur certaines toxines permettraient de les administrer oralement, perspective d’autant plus séduisante que certaines sont étudiées dans d’autres indications (maladie de Parkinson ou d’Alzheimer, pathologies neurovasculaires).
Plus récemment, l’équipe de Sébastien Dutertre (CNRS, Montpellier) a montré que les cônes produisent deux types de venins, utilisant un venin mortel pour répondre à une agression mais se contentant d’injecter un venin qui ne fait guère que paralyser rapidement les proies lorsqu’il s’agit de chasser pour se nourrir. Cette observation inédite pourrait trouver son intérêt en agronomie : le venin de chasse des cônes se nourrissant de vers marins pourrait inspirer la conception de biocides susceptibles de protéger les cultures de l’attaque de vers parasites.
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