1886. Kaiser-Wilhelms Universität de Strasbourg, ville allemande depuis 1870 ; Arnold Cahn et Paul Hepp auraient dû prêter attention à la commande livrée. Ces deux assistants du professeur Adolf Kussmaul (1822-1902) travaillent sur le naphtalène, un antiparasitaire intestinal. Mais il leur a été livré non du naphtalène, mais de l’acétanilide, une molécule essentielle dans l’industrie des colorants. Voici la raison pour laquelle la température de leurs patients a baissé d’une façon inattendue ! La relation de cause à effet est rapidement prouvée : l’acétanilide a une activité antipyrétique. Mieux : elle se révèle un excellent antalgique. Les chercheurs s’empressent de publier leur découverte, mus par l’ambition débordante de concurrencer un analgésique antipyrétique à la mode en cette fin de XIXe siècle : la phénazone synthétisée par Ludwig Knorr en 1883 et commercialisée comme Antipyrine. L’Antifébrine est née. Rapidement toutefois, celle-ci se révèle toxique pour le rein. On explore donc les dérivés de l’acétanilide dans l’espoir de repérer un médicament aussi actif mais mieux toléré…
À la demande de Carl Duisberg, des laboratoires Bayer, un chimiste allemand, Oscar Hinsberg (1857-1939), transforme le paranitrophénol, proche de l’acétanilide, en acétophénétidine ou phénacétine dont il montre les effets antipyrétiques en 1888.
Phénacétine contre paracétamol.
Un chimiste et pharmacologue américain, Harmon N. Morse (1848-1920) teste quant à lui un dérivé également proche de l’acétanilide : le para-acétyl-amino-phénol, qu’il a synthétisé dix ans auparavant, en 1878. Le suédois Karl Morner (1854-1917) montre en 1889 qu’il s’agit d’un antalgique et antipyrétique puissant. Le nom de ce produit, une fois contracté, nous est familier : c’est… le paracétamol !
En 1893, un illustre médecin allemand, le baron Joseph von Mering (1849-1908), entend logiquement comparer les propriétés des deux concurrents nouveaux : phénacétine et paracétamol. Il conclut à leur double efficacité antalgique et antipyrétique, mais, surtout, il juge ce dernier particulièrement néphrotoxique. Personne ne vérifiant ses travaux, quelques décennies s’écouleront avant que l’on reconnaisse que von Mering avait utilisé du paracétamol contaminé par l’amino-4-phénol, fortement méthémoglobinisant… Quelques décennies qui verront donc la phénacétine damer le pion au paracétamol pour devenir une star des pharmacies familiales aux côtés de l’aspirine déjà évoquée dans cette rubrique.
Mais cette histoire ne s’arrête pas là puisque le paracétamol est sur nos rayons. À la fin des années 1940, des Américains [Bernard B. Brodie, Frederick B. Flinn et Julius Axelrod (1912-2004, Prix Nobel 1970) à Columbia ; David Lester et Léon A. Greenberg à Yale] montrent que la phénacétine est métabolisée en paracétamol, seul actif au plan thérapeutique et qui, de plus, n’est pas méthémoglobinisant et donc pas néphrotoxique - contrairement à la phénacétine et à l’acétanilide -. La suite, nous la connaissons : le paracétamol, réhabilité il y a une soixantaine d’années, est aujourd’hui un médicament phare sur la planète.
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