Près de 150 ans après sa création, au sortir de la guerre de 1870, la grande pharmacie moderne d’Elbeuf se porte bien. Les enfants, petits enfants, et arrières petits enfants du fondateur Clovis Dunoyer ont suivi une chaîne ininterrompue au fil des décades.
Né en 1858, Clovis est pharmacien bi diplômé. Ce qui lui donne le droit de servir au comptoir et de créer un établissement pharmaceutique. Quand il lance son officine à Saint-Étienne du Rouvray, il fabrique tout seul les produits que les clients lui demandent. Un peu plus tard, Il déménage sa pharmacie dans le centre-ville d’Elbeuf. Dans des locaux plus grands, il se met à vendre des produits lactés et commercialise également les premières spécialités pharmaceutiques. Laits en poudre, pastilles Valda, sirops, suppositoires et liniments et le Daquin, une préparation officinale à l’origine, qui deviendra rapidement industrielle…
Le temps de la solitude
À la fin du dix-neuvième siècle, la pharmacie moderne était en train de naître. « Des laboratoires commençaient à tourner. Les ventes se développaient. Mais mon arrière-grand-père, comme nombre de ses confrères, commençait à s’inquiéter pour son avenir », raconte l’arrière-petit-fils Stanislas, aujourd’hui titulaire. Mais ces craintes s’avèrent rapidement vaines. Les spécialités se multiplient. Les laboratoires de même. Les usines et les outils de transport adaptés à la distribution des médicaments industrialisés se multiplient de manière presque exponentielle.
La famille Dunoyer s’agrandit. Clovis a trois enfants. Le premier portera le même prénom que son père. « Clovis junior », verra arriver deux frères : Robert et Émile. Ce dernier reprendra la flamme de l’officine avant d’être projeté, comme ses deux frères, dans l’enfer de Verdun. Envoyé au front, il y est infirmier au service de santé des armées. Au retour de l’horreur des champs de bataille, le pharmacien Émile Dunoyer revient au comptoir avec quelques idées fortes en tête. La première sera de doter les pharmacies d’officines de véritables moyens pour jouer un rôle dans l’organisation de la distribution des médicaments. Il sera ainsi l’un des cinq fondateurs, en 1919, de la mutuelle coopérative pharmaceutique rouennaise, ancêtre de la CERP.
La Sécurité sociale rebat les cartes
Après le second conflit mondial, le gouvernement français invente et impose la Sécurité sociale. Les officinaux hoquettent. « C’en est fini de notre liberté. Nous allons sombrer sous les papiers et les règlements en appliquant des marges imposées… Et puis la première pharmacie mutualiste ouvre ses portes à Maubeuge en 1956. La SNCF en crée une autre à Sotteville-les-Rouen. » Mais, contrairement à la catastrophe annoncée, cette nouvelle manière de gérer la santé s’avère rapidement bénéfique pour les pharmaciens. Grâce à la Sécurité sociale, les Français se soignent mieux… Et achètent plus de médicaments.
Émile a eu deux enfants. Une fille Micheline et un fils Jean-Claude. C’est ce dernier qui prend le relais au lancement de la Sécurité sociale. Désormais retraité, Jean-Claude passe encore du temps dans l’officine familiale. Il a eu trois enfants Guillaume, Emmanuelle et Stanislas, le titulaire actuel.
Aujourd’hui, jetant un regard par-dessus son épaule, Jean-Claude se dit convaincu que le métier de pharmacien est naturellement inscrit dans les gènes de sa famille. De fait, depuis 1870, il y a toujours eu un pharmacien Dunoyer à Elbeuf. « Chaque génération a produit le sien, explique le dernier né de cette lignée de pharmaciens ancrée dans ce petit morceau de Normandie. Du temps de mon père et de mon grand-père, le pharmacien faisait partie des notables de la cité au même titre que le médecin l’instituteur ou le notaire. Mon grand père a été adjoint au maire. J’ai fait longtemps partie de la chambre et du tribunal de commerce. Aujourd’hui personne ne regrette rien. Même si le métier traverse quelques moments de tempête, la situation est loin d’être désespérée. »
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