Le 15 avril 1875, il décolle ! L’aérostat réussit son élévation avec trois hommes à son bord, au-dessus de l’usine à gaz de La Villette. Les trois aéronautes, Gaston Tissandier, Théodore Sivel et Joseph Croce-Spinelli ne s’en cachent pas : l’objectif est bien de battre des records. Leur engin volant s’appelle Le Zenith et a déjà survolé l’océan Atlantique au large d’Arcachon un mois plus tôt. 22 h 40 de vol. On n’a jamais fait mieux.
Les trois aventuriers pensent donc être rodés et, grisés par ce premier exploit, décident de remettre le couvert. On imagine le décollage du ballon comme Maupassant le décrira quelques années plus tard dans « Voyage du Horla » : « Dans la cour d'entrée, gît le ballon, une grande galette de toile jaune, aplatie à terre, sous un filet. On appelle cela la mise en épervier ; et il a l'air, en effet, d'un vaste poisson pris et mort. On se précipite soudain, car le gaz pénètre enfin dans le ballon par un long tube de toile jaune qui rampe sur le sol, se gonfle, palpite comme un ver démesuré. Cette opération est fort délicate et fort importante ; car la résistance de la toile de coton, si mince, dont est fait l'aérostat, est calculée en raison de l'étendue du contact de cette toile avec le filet aux mailles serrées qui portera la nacelle. » À 4 300 mètres d’altitude, les passagers se mettent à respirer de l’oxygène grâce à des appareils soigneusement installés par Stanislas Limousin. À 7 000 mètres, cette précaution de confort devient vitale. Le ballon atteint en effet la hauteur record de 8 600 mètres, mais à l’intérieur de la petite nacelle, les aventuriers ne sentent plus leurs corps engourdis et sont incapables du moindre effort. Sivel et Croce Spinelli s’affaissent tandis que Tissandier s’évanouit, avant de pouvoir reprendre ses esprits, la main agrippée au petit tube de Limousin, une chance que n’ont pas les deux autres. Démunis du précieux gaz qui leur a glissé entre les doigts, ils ne se réveilleront jamais.
Les premiers ballons à oxygène sur le marché
Les appareils à préparer et recueillir de l’oxygène, du type de celui qui sauva la vie à Gaston Tissandier, sont l’invention du pharmacien Stanislas Limousin qui ne cessa jamais de penser pratique. Né en 1831 à Ardentes dans l’Indre, il fait ses gammes comme apprenti dans la pharmacie Gobley rue du Bac à Paris, avant d’être reçu interne en 1856 à la Pitié. Il passe ensuite quelques années à Sainte-Eugénie et à la Maison Municipale de Santé puis achète sa pharmacie au 2 bis de la rue Blanche où il met au point ses fameux ballons à oxygène en caoutchouc qu’il commence à livrer partout, à domicile et dans les hôpitaux. Le succès est si grand qu’il décide même d’installer une salle remplie d’inhalateurs accolée à sa pharmacie. Son obsession est en effet de créer des appareils utiles à la réanimation des asphyxiés. L’idée est qu’ils soient pratiques d’utilisation, maniables et efficaces, à portée de main, voire au pied du lit du malade. Il vend ses ballons 10 centimes le litre et continue dans le même temps ses recherches qui porteront notamment sur le mélange de l’oxygène et du protoxyde d’azote sous pression à des fins anesthésiantes.
Le cachet Limousin
Toujours dans le but d’améliorer le confort des malades et l’efficacité thérapeutique, Stanislas Limousin veut révolutionner le mode d’administration des poudres médicamenteuses, au goût trop amer, voire infâme, contenues dans une enveloppe de pain azyme de mauvaise qualité car encore trop poreuse. En 1873, il présente ses recherches à la Société de pharmacie et à l’Académie de médecine. Le cachet Limousin, si bien conçu, sera incontournable pendant plusieurs décennies jusqu’au milieu du XXe siècle, date à laquelle il est abandonné au profit des gélules, capsules et autres comprimés. Le « cachet azyme pharmaceutique », comme il est indiqué sur de nombreuses étiquettes, est une forme galénique maintes fois copiée qui marqua toute une époque et plusieurs générations au point d’être toujours utilisée dans le vocabulaire courant, bien qu’elle n’existe plus. Combien de personnes disent encore qu’ils avalent des « cachets » d’aspirine !
La révolution de la méthode d’injection
Enfin, sur sa lancée, notre pharmacien ne s’arrête pas là. Inventeur compulsif, il s’attaque ensuite au mode d’injection hypodermique, poussé par le docteur Constantin Guy qui souhaite pouvoir administrer du sel de quinine à doses élevées sans danger. Tout le problème réside en fait dans la stérilisation de la solution saline lors de son conditionnement et de sa conservation. Stanislas Limousin ne le sait pas encore, mais l’invention de ses petites ampoules hypodermiques, faite d’un petit globe en verre terminé par un tube effilé sera un des plus grands progrès de la pharmacie hospitalière. Chauffées à deux cents degrés et scellées à la flamme, elles garantissent la stérilisation de leur contenu. Une avancée sans précédent dans le domaine des perfusions, et en particulier pour la nutrition parentérale. Hélas, un an après cette invention, notre pharmacien meurt sans voir les répercussions de son invention. Ces ampoules en verre d’une contenance de 60 à 1 000 ml disparaîtront finalement juste après-guerre devant les difficultés de leur fabrication. Sous une forme améliorée, elles seront plus tard dotées d’une chambre compte-gouttes incorporée au tube de caoutchouc, un système qui prendra le nom fleuri de tubulures de perfusion, puis d’un bouchon transposable étanche après perforation.
Inventeur de génie, Stanislas Limousin aura d’autres succès à son actif, peut-être plus anecdotiques, mais tout aussi intéressants : sucre-tisanes, cachets-cuillères, compte-gouttes avec une poire en caoutchouc, alcoolmètre-oenomètre… autant d’inventions qu’il vendait dans son officine qui devait avoir la réputation d’être une des plus modernes de la capitale.
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