OUI, un musée ou plutôt un lieu muséifié, tout simple, constitué d’une seule pièce, la salle de vente de la pharmacie. Anecdotique, me direz-vous. Pourquoi diable Soignies conserve-t-elle en parfait état cette officine de ville qui n’a, à première vue, rien d’extraordinaire ? Généralement en effet, on s’attend à être émerveillé par des qualités architecturales, comme dans les anciennes apothicaireries, ou bien par une histoire riche de rebondissements. Rien de tel à Soignies, juste une pharmacie laissée dans son état d’activité professionnelle. Elle s’offre aux passants, le plus humblement du monde, grâce à la volonté d’un homme qui souhaita garder ce lieu comme un témoin essentiel de la vie quotidienne des habitants. Et c’est peut-être cela le plus émouvant.
La pharmacie Bourdeaux, c’est Soignies, ses femmes, ses hommes et ses enfants, leurs bobos, leurs souffrances, leurs inquiétudes et leurs guérisons. Conscient que la pharmacie était dotée de l’ensemble de son mobilier, ainsi que de ses pots et de ses instruments à l’usage du pharmacien – chose relativement rare – Louis Demanet décida de la racheter pour la conserver. Ce notable de Soignies avait une âme de mécène puisqu’il encouragea également la création de l’actuel Centre d’Art et de Culture. À son actif aussi, un goût particulier pour la peinture, notamment pour le peintre James Ensor, dont il se trouva acquéreur de quelques toiles. Qui sait s’il ne l’appréciait pas pour son talent de caricaturiste, pour ses fameux « portraits-charges » du monde médical dans lequel l’artiste n’avait vraisemblablement aucune confiance ? Louis Demanet devait s’amuser de ce coup de pinceau acerbe ce qui ne l’empêcha pas d’honorer la profession de pharmacien par l’acte de préservation de l’officine Bourdeaux à la cessation de son activité en 1968. Aujourd’hui, les flacons de couleur bleue – afin de protéger les remèdes contre le soleil – semblent comme figés sur une ancienne photographie aux teintes estompées. Et surtout, l’odeur caractéristique de poudre médicamenteuse sature l’atmosphère au point qu’on imagine l’ensemble des pots et flacons encore rempli de multiples substances qui ne demanderaient qu’à resservir.
Lieu insolite.
Alternance de mortiers, clystères, balances et flacons, bien disposés sur le très haut comptoir et sur les étagères qui recouvrent les murs de la pièce, l’officine au complet affiche son style 1900 intact. Une vitrine où sont exposés de vieux livres de pharmacopée et des moules à suppositoires en étain rappellent qu’on est dans un lieu historique. Enfin, les flacons bleus constituent un très bel ensemble d’époque. Et bien sûr les classiques et éternelles étiquettes affichent les composants des remèdes que les pharmaciens Bourdeaux vendirent ici durant deux générations. Bouteilles d’alcool, d’éther, d’eau de chaux, d’eau de lavande ou de mélisse, ainsi que les teintures (préparées en faisant macérer les plantes sèches dans de l’alcool) de benjoin et de cannelle, teinture d’asa foetida aux propriétés laxatives et diurétiques ou teinture de crataegus (à base d’aubépine) utilisée pour la tension…
La pharmacie avait aussi ses remèdes dits « maison » dont le plus connu fut le sirop de limace pour soigner les maux de gorges et la toux. La bave de limace était en effet utilisée au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle contre les troubles pulmonaires, et en particulier la coqueluche et la tuberculose. Aujourd’hui, ce n’est plus la limace mais un autre gastéropode guère éloigné qui tient une place de choix dans la composition de l’Hélicidine, fameux sirop pour la toux qu’on a tous avalé un jour.
Rien d’ostentatoire dans l’ancienne pharmacie de Soignies, ni or, ni faïence, mais le souvenir d’un cadre de vie professionnel. Tout pharmacien pourra s’y sentir chez lui, essayant d’imaginer le travail de ses prédécesseurs. Il trouvera sûrement le lieu beaucoup trop petit – par rapport aux pharmacies modernes – mais non dénué de charme. Un pan de vie et d’histoire restitué dans une officine transformée en musée - une fois n’est pas coutume - précieusement conservée donc, pour éviter que les aléas du temps ne puissent la faire oublier ou la faire détruire.
Lieu tout à fait insolite, à quelques encablures de la frontière française en Wallonie, la pharmacie Bourdeaux nous prouve à elle seule que le patrimoine pharmaceutique, même petit et inconnu, est digne d’intérêt. Bref, on ne peut s’empêcher d’aimer tous ces vieux pots qui sentent la potion magique à base de bave de limace. Allez savoir pourquoi ?
Visite toute l’année sur demande à l’Office de Tourisme. Tél. : +32 (0) 67 34 73 78.
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