La saga des sulfamides antibactériens

Recherches à l’ombre du IIIe Reich

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Publié le 17/10/2013
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DRAMATIQUES : telles furent les circonstances qui poussèrent en 1935 un jeune médecin allemand à tester sur sa propre fille un médicament qu’il venait de découvrir. La petite Hildegarde, âgée alors de 6 ans, s’étant piquée avec une aiguille infectée, fut victime d’une infection qui gagna son bras entier. En désespoir de cause, lui ayant administré un colorant dont il avait constaté l’action anti-infectieuse chez la souris, le jeune papa la sauva d’une amputation certaine voire de la mort…

Ce médecin avait nom Gerhardt Domagk (1895-1964). C’est en 1927 qu’Heinrich Hörlein (1882-1954), responsable pharmaceutique de l’IG Farbenindustrie, avait sollicité sa collaboration, captivé par sa thèse sur la phagothérapie, pour lui confier une mission délicate : découvrir un médicament anti-infectieux systémique - différent donc des antiseptiques topiques alors seuls connus -.

Domagk releva ce défi. Ayant choisi pour modèle l’infection à streptocoque, il concentra ses travaux sur des colorants azoïques dérivés de la phénazopyridine : peu active, elle était aussi peu toxique et Domagk décida de tester des composés voisins. Son intérêt se porta sur l’un d’eux, la chrysoïdine : force fut de constater que son injection n’empêchait guère le développement des infections… Les chimistes attachés à produire les substances testées par Domagk, Fritz Mietzsch (1896-1958) et Josef Klarer (1898-1953), lui rappelèrent qu’en 1909 Hörlein avait greffé un radical sulfonamide à un azoïque pour accrocher ce colorant aux tissus : ne pourrait-il aussi fixer la chrysoïdine aux bactéries ? Ils produisirent donc des dérivés sulfonamides de la chrysoïdine dont le KI730 - une véritable « encre rouge » ! - que Domagk testa sur la souris début décembre 1932. Ces essais se révélant prometteurs, les chimistes brevetèrent la molécule… dès le 25 décembre !

La description du premier cas humain ayant bénéficié d’un traitement par ce « streptozon » fut rapportée le 17 mai 1933 par un pédiatre allemand, Richard Foerster : celle d’un bambin de dix mois atteint d’une septicémie à staphylocoques. Domagk publia ses observations en février 1935, un mois après que le brevet du médicament ait été déposé sous le nom de Prontosil. L’administration du traitement à Hildegarde demeura, elle, longtemps méconnue.

Prix Nobel de médecine.

Mais un mystère subsistait : pourquoi le Prontosil restait-il inactif in vitro ? La réponse vint dès 1935 de l’Institut Pasteur. Les chimistes Jacques et Thérèse Tréfouël, le bactériologiste Federico Nitti et le physiologiste Daniel Bovet montrèrent que l’activité antibiotique impliquait la rupture in vivo de la fonction azoïque, avec libération d’amino-4-benzène-sulfamide actif - la chrysoïdine n’avait en fait aucun rôle ! -. Ce « sulfanilamide » (Septoplix, Prontalbin) fut le premier des sulfamides qui trouvèrent une place de choix pour traiter les blessés de la Seconde guerre mondiale.

La situation devint plus délicate pour Domagk dans l’Allemagne nazie. Ayant appris qu’il allait recevoir le Prix Nobel de médecine en 1939, il remercia le Comité. Sa lettre lui valut d’être emprisonné : il ne put sortir qu’après avoir publiquement refusé de se présenter à la remise du Prix. La guerre finie, il reçut son Nobel puis se consacra aux anticancéreux. Hörlein, instigateur du projet, fut quant à lui traduit devant le tribunal de Nuremberg pour avoir participé à l’exploitation des déportés du camp d’Auschwitz dans les usines de l’IG Farben ; il en sortit acquitté.

› NICOLAS TOURNEUR

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3038