Évidemment, ce n’est pas le plus vieux jardin du monde, dont on a forcément perdu toute trace, mais c’est le plus ancien jardin botanique à vocation scientifique encore conservé, sur son lieu d’origine. Avant lui, on peut néanmoins citer ses prédécesseurs disparus, ceux de Salerne et de Venise dès le XIVe siècle, puis ceux de Pise et de Ferrare.
Ouvert en 1545 sur le site de l’université de Padoue, le jardin des simples, comme il est appelé à ses débuts, a tout de suite eu une double vocation pédagogique et pharmaceutique. Il devait d’une part servir l’enseignement des étudiants, et d’autre part réaliser le recensement des plantes connues de l’époque afin d’éviter les erreurs de médication, alors fréquentes. En effet, les professeurs de science, en premier lieu l’initiateur de la fondation du jardin Francesco Bonafede, étaient de plus en plus préoccupés par la primauté d’une conception allégorique, voire magique des plantes, et commençaient à revendiquer plus de précision et de réalisme scientifique. Et cela passait par le besoin urgent d’identifier et de classer les espèces. Dès ses débuts, le jardin comprend les quatre parterres carrés traditionnels complétés par six parterres plus petits en arcs de cercle afin de donner à sa composition générale la forme d’un cercle. Quelques années à peine après sa création, il est entouré d’un mur d’enceinte construit pour mettre fin aux nombreux vols de plantes. À la suite de ce premier conservatoire médicinal, on assiste à un engouement européen pour la création de jardins botaniques, souvent liés au siège d’une université. Ainsi, à Bologne en 1568, à Leyde aux Pays-Bas en 1577, dans plusieurs villes allemandes comme à Leipzig en 1580, à Breslau en 1587, à Köenigsberg en 1591, à Heidelberg en 1593, et en France, à Montpellier, en 1597. Le XVIIe siècle poursuivra sur cette lancée, irriguant l’Angleterre et Paris.
Voyages littéraires
Si le jardin padouan accueille de nombreux scientifiques de tous horizons, il est aussi célébré par des voyageurs littéraires qui font ce qu’on a appelé le Grand Tour, une habitude des érudits et des jeunes savants des XVIIIe et XIXe siècles pour voir toutes les beautés, antiques et contemporaines, que peut offrir l’Europe. L’Italie est évidemment un passage initiatique obligé. Au début du XIXe siècle, un certain Antoine Claude Pasquin, conservateur des bibliothèques de la Couronne et bibliothécaire du château de Versailles, se plaît à raconter ses pérégrinations italiennes et mentionne le jardin botanique de Padoue avec émotion ; on voit que celui-ci est déjà devenu une attraction touristique pour un public averti. Il note, avec une pointe de romantisme propre à son époque : « Un vieux platane oriental, au tronc noueux, aux courts rameaux, mais encore verdoyants, date de sa création. Je ne pouvais le contempler sans une sorte de respect ; je trouvais quelque chose de docte à ce contemporain de tant de professeurs illustres, dont les statues de pierre sont à quelques pas, qu’il avait reçu sous son ombre, et il me semblait comme une espèce de doyen parmi les arbres savants des jardins botaniques. » Les grandes figures de la Renaissance padouane dont il parle sont Galilée, Copernic, André Vésale, Gabriele Falloppio ou Pic de la Mirandole, tour à tour, élèves, démonstrateurs ou professeurs, ceux qui connaissent, alors que Padoue est dans le giron de la République de Venise, les grandes heures du syncrétisme humaniste entre les arts, les sciences et les lettres, favorisé par la naissance et le développement de l’imprimerie et l’ouverture vers l’Orient. Nombreux sont les scientifiques qui reviennent des pays du Levant et font étape dans la ville de Donatello. Les premiers herbiers circulent et l’université de Padoue, et son jardin botanique, vivent leur âge d’or, menant bientôt l’institution à décerner, en 1678, le tout premier diplôme universitaire à une femme, dans le domaine de la philosophie.
Le palmier de Goethe
Arpenter les allées du jardin de Padoue n’est donc pas anodin, et c’est pour cette raison qu’il a été classé au Patrimoine mondial de l’Unesco en 1997, pour la mémoire qu’il garde, à travers ses plantes, du développement des disciplines scientifiques, dont la pharmacie. Il abrite toujours des spécimens plantés au XVIe siècle, dont un palmier méditerranéen planté en 1585, appelé le « Palmier de Goethe » (aujourd’hui sous une serre). L’écrivain allemand visita en effet le jardin en septembre 1786 et aurait été fasciné par ce spécimen en particulier qui lui inspira ensuite ses essais consacrés à la métamorphose des plantes, dans lesquels il développe sa théorie sur la structure des plantes qui serait finalement toujours constituée de variations autour d’une unique forme, la feuille. Six mille espèces peuplent aujourd’hui le lieu, classées par plantes carnivores, plantes médicinales, plantes vénéneuses, plantes des monts Euganéens, espèces rares et espèces importées en Italie par le jardin lui-même, notamment celles qui provenaient des possessions vénitiennes.
Par ailleurs, un « Jardin de la biodiversité » a été créé à côté du jardin historique afin d’héberger 1 300 espèces des quatre coins du monde entretenues, sous une immense serre fonctionnant à l’énergie solaire, dans une atmosphère similaire à leur environnement d’origine. Le vieux jardin du XVIe siècle, riche de son histoire scientifique et philosophique, qui a vu les prémices de la science et de la pharmacie moderne, est donc aujourd’hui tourné vers l’avenir, dans un souci de protection environnementale et de sauvegarde des espèces. Goethe aurait probablement eu quelques lignes à écrire sur ce microcosme qui a finalement peu changé, autant dans son aspect que dans sa vocation.
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