IL Y A SEPT ANS, Dominique Buraud reprenait la pharmacie François située au 70 cours Alsace-Lorraine. Ce passionné d’histoire et de pharmacie comprit immédiatement dans quel lieu exceptionnel il allait désormais travailler. Sur la façade, les mots « Maison fondée en 1729 » s’affichent fièrement. Il s’agit de la plus vieille pharmacie de Bordeaux. Elle est aussi la plus vaste. L’espace intérieur n’a en effet rien de la petite officine de quartier. Le grand espace d’accueil surmonté de deux mezzanines courant le long des murs, les salles des anciens laboratoires à l’arrière de l’officine et les petits locaux dévolus autrefois à des consultations médicales, font plus penser à une véritablement entreprise. De surcroît une entreprise prospère.
En effet, la monumentalité du comptoir, la richesse de l’habillage des étagères et des murs en acajou et marbre, la finesse des dalles du sol en carreaux de ciment ornés, l’ensemble surprend. Ne sommes-nous pas plutôt dans un grand magasin parisien éclairé de belles appliques de bronze ? Les verrières, les armatures de fer et les balcons grillagés avec goût rappellent en effet le style Eiffel et le style Art Nouveau des premières années du XXe siècle. L’aspect actuel de la pharmacie date bien de la fin du XIXe siècle. À l’époque où le cours Alsace-Lorraine fut percé, en 1865, à la manière des avenues haussmanniennes à Paris, la pharmacie fut complètement rénovée. C’est l’œuvre de la famille Fosse qui officia à la pharmacie François pendant 250 ans, du XVIIIe siècle au milieu du XXe siècle. On peut encore voir les écussons aux initiales de Charles Fosse sur les appliques de l’entrée.
Aujourd’hui, la pharmacie François est un des fleurons du vieux Bordeaux, bien aménagée par Dominique Buraud, soucieux de sa conservation. « On joue la cohérence par rapport au lieu », dit-il. L’activité actuelle doit en effet composer avec l’histoire du lieu. Ainsi, il n’y a pas de panneau publicitaire en vitrine et un petit coin est consacré à l’herboristerie. L’actuel titulaire n’hésite pas à raconter les heures de gloire aux curieux de passage (et il y en a beaucoup !) de cette ancienne droguerie-pharmacie qui déborda d’activités. On apprend que ce sont les laboratoires de la pharmacie François qui inventèrent, en 1932, l’Hépascol, remède contre les problèmes gastriques, à base de feuilles d’artichauts de Macau, qui connut un grand succès. La pharmacie François acquit alors une notoriété au niveau national. Et puis, plus amusant, ce sont ces mêmes laboratoires qui inventèrent les suppositoires en chocolat. Plutôt insolite mais fort ingénieux car le beurre de cacao fond à la température du corps. Les Fosse étant aussi bien des scientifiques que des hommes d’affaires, ils eurent alors l’idée de se lancer dans le chocolat. La chocolaterie avec son savoir-faire s’installa à Talence pour avoir plus d’espace et employa 800 salariés. Elle commercialisa une confiserie qui n’est autre que le célèbre Toblerone !
Riche de cette histoire, le lieu a toujours son âme. Une âme qui vit aussi grâce au petit musée installé dans l’ancien laboratoire homéopathique par Dominique Buraud qui confie être collectionneur d’objets de pharmacie et de médecine. Une exceptionnelle série de flacons bleus côtoie clystères, tire-lait, moules à suppositoires, moules à ovules, irrigateurs du Dr Eguisier et un joli trébuchet. On découvre que les étagères des mezzanines regorgent aussi d’anciens flacons encore pleins de leurs substances… On quitte le lieu en regardant une dernière fois la grosse horloge en émail bleu outremer suspendue dans l’entrée, signée Guignan, le même qui fit l’horloge de la tour de la grosse cloche, en 1912.
Visite guidée.
Quelques rues plus loin, deux autres pharmacies, moins imposantes, ont également gardé leur charme d’antan. À l’angle de la rue Castillon et de la rue Margaux, deux grands vases sculptés dans la pierre des murs de façade sont comme les enseignes de la pharmacie des Carmes. À l’intérieur, cette pharmacie présente encore ses boiseries de style Directoire. Fondée en 1792 par le moine Pierre Catinot, qui exerçait au couvent des Carmes voisin, elle est réputée pour avoir inventé la formule de l’Eau des Carmes de Mélisse. Un mortier en bronze, conservé au musée des arts décoratifs de Bordeaux, aurait servi pendant plusieurs années à la préparation de cette eau bienfaitrice. On sait aujourd’hui que de nombreux pots ornaient les étagères de cette officine, dispersés désormais dans plusieurs musées européens.
Sur les quais, la pharmacie de la Bourse n’a pas eu la même chance, car sa collection de pots fut dérobée. Par contre, ses boiseries originales, datées du XVIIIe siècle sont toujours là. « Les tiroirs ont été faits dans une même planche de bois et les portes ont été taillées dans un même tronc d’arbre », explique Évelyne Gras, pharmacienne. Vincent Dubarry, responsable de la pharmacie, a reconstitué la place de chaque tiroir en fonction des nervures du bois pour redonner vie à cette pièce unique.
La promenade pharmaceutique dans le vieux Bordeaux est si riche que l’Office de tourisme propose régulièrement une visite guidée de ces trois anciennes officines. Une occasion rêvée pour plonger dans l’histoire de la pharmacie.
Office du Tourisme de Bordeaux : 05.56.00.66.00.
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