18 JUIN 1956. Paula J.F., 49 ans, s’anime pour la première fois depuis de longs mois : elle manifeste de l’intérêt pour une promenade, son visage devient plus expressif. Le psychiatre qui la suit comprend que la médecine vient de faire un bond : la dépression est sensible aux médicaments…
Cette histoire trouve sa source en 1883, année où Heinrich August Bernthsen (1855-1931), chimiste à la Badische Anilin und Soda Fabrik (BASF : « usine badoise d’aniline et de soude ») de Mannheim synthétisa la première phénothiazine, cousine du bleu de méthylène alors utilisé comme colorant. Elle fut à la base de l’iminodibenzyle que synthétisèrent en 1899 le chimiste allemand Johannes Thiele (1865-1918) et son collaborateur Otto Holzinger : le brevet de ce composé, qui ne trouvait pas place dans l’industrie textile allemande, fut récupéré par la firme suisse Geigy.
Un demi-siècle plus tard, Robert Domenjoz (1908-2000), pharmacologue en chef du laboratoire, impressionné par le développement des antihistaminiques sédatifs reprit l’exploration des iminodibenzyles. Franz Haefliger et Walter Schindler en synthétisèrent plus de 40 qui, toutes, se révélèrent antihistaminergiques et sédatives sur modèle animal. Le G-22150, adressé au psychiatre Ronald Kuhn (1912-2005) afin qu’il le teste comme hypnotique chez l’homme, dans sa clinique de Münsterlingen (lac de Constance) se révéla avoir une action trop irrégulière.
Le hasard fait bien les choses.
Les choses en seraient restées là si la découverte de l’action antipsychotique de la chlorpromazine (1952) n’avait suscité un regain d’intérêt pour les phénothiazines. Kuhn proposa en 1954 de tester le G-22150 sur des patients psychotiques mais Domenjoz lui fit choisir au hasard une autre molécule : ce fut donc le G-22355, plus proche de la chlorpromazine, que reçut Kuhn début 1956. Ce composé n’eut cependant aucune action antipsychotique. Pire : il aggrava l’agitation des sujets calmés par la chlorpromazine. Kuhn remarqua toutefois que l’humeur de trois patients traités pour psychose dépressive était améliorée : dans une lettre au laboratoire Geigy (4 février 1956), il évoqua pour la première fois sa possible action antidépressive. Il décida alors de traiter 37 patients souffrant de « dépression vitale » (nous dirions « endogène ») - dont Paula J.F. -. Le succès fut aussi complet qu’inespéré. Le hasard venait de révéler une nouvelle classe de médicaments…
Kuhn présenta ses résultats au second Congrès mondial de psychiatrie de Zürich le 6 septembre 1957 devant une assistance clairsemée. Ces observations étaient reçues avec scepticisme à une époque où la dépression passait pour résister aux médicaments. Des psychiatres tels Paul Kielholz (1916-1990) ou Raymond Battegay (1927-) soulignèrent l’intérêt du médicament mais surtout, Robert Boehringer (1884-1974), industriel, actionnaire de Geigy, constata son effet miraculeux sur un membre de sa famille et en soutint le développement. L’imipramine fut finalement commercialisée sous le nom de Tofranil fin 1957 (Suisse) et courant 1958 (reste de l’Europe). Un essai vs placebo mit fin à la controverse en 1959. Restant le « gold-standard » du traitement de la dépression, l’imipramine a prouvé que cette affection, d’origine biologique, pouvait être soignée comme l’étaient - depuis peu - les psychoses.
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