Histoire de la pharmacie

Pierre Bayen (1725-1798), le père de la pharmacie militaire

Publié le 21/03/2013
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À Chalons-en-Champagne, sa ville natale, un hôpital porte son nom, ce qui est un cas unique pour un pharmacien militaire. Pourtant, certains historiens de la pharmacie ont souvent déploré l’oubli dans lequel on l’avait laissé, malgré l’éloge que prononça Parmentier à sa mort. Remettons-le dans la lumière du XVIIIe siècle.
Portrait de Pierre Bayen, gravure 18e siècle

Portrait de Pierre Bayen, gravure 18e siècle
Crédit photo : BIU Santé

Costume d'apothicaire major des armées (1786), source : livre de Pierre Acker "De l'apothycaire...

Costume d'apothicaire major des armées (1786), source : livre de Pierre Acker "De l'apothycaire...

LE 17 JANVIER 1708, un édit royal créait un service de santé des armées permanent, avec un corps d’officiers de santé comprenant des médecins, des chirurgiens et des apothicaires. En fait, si l’on remonte aux origines, c’est au milieu du XVIe siècle que l’on trouve les premières mentions d’apothicaires dans les armées, ces derniers n’étant encore que subordonnés aux médecins. En 1606, Henri IV, constatant les graves dégâts causés par les guerres, décidait de donner la Maison royale de charité chrétienne des faubourgs Saint-Marcel, créée quelques années plus tôt par l’apothicaire Nicolas Houel, aux soldats et capitaines estropiés et blessés. Petit à petit, les premiers hôpitaux militaires, rattachés aux champs de bataille, firent leur apparition, chacun étant doté de leur jardin de plantes médicinales. Dans le même temps, les caissons et trousses à pharmacie se multiplièrent et les apothicaires se virent chargés de missions plus importantes dans leurs bataillons. À tel point que l’on sait le succès qu’ils auront au XVIIIe siècle dans l’évolution des sciences ou dans la découverte de plantes nouvelles lors des grandes expéditions maritimes.

Pierre Bayen fut une de ces grandes figures.

Arrivé à Paris en 1749, il commence par suivre les cours de Guillaume-François Rouelle, l’un des apothicaires-chimistes les plus en vue de la capitale qui officiait au Jardin du Roi*. Celui-ci le présente à Piarron de Chamousset, un philanthrope proche de la famille royale qui avait créé un hôpital, rue du Mail, pour accueillir les pauvres (il avait plus de deux cents malades par jour), dans lequel se trouvait une apothicairerie dont Bayen prit la direction. Son nouveau protecteur le fait ensuite nommer pharmacien en chef de l’expédition de Minorque, en 1756, où il se fait remarquer en dégageant le salpêtre de la poudre à canon et en dénichant une source d’eau potable pour les troupes. Il est ensuite nommé pharmacien en chef de l’armée d’Allemagne pendant la guerre de Sept Ans. C’est durant cette période qu’il remarque la désorganisation des services de santé des armées. L’abandon des blessés, le manque de moyens et le détournement des vivres le choquent. En particulier après la défaite de Rossbach, en Saxe, qui est la risée de toute la France, et dont Voltaire va se moquer ouvertement jusqu’à prendre le parti de l’ennemi vainqueur, le roi Frédéric II de Prusse. Un proche de Voltaire, justement, le duc de Choiseul, devient ministre de la Guerre, en 1761, et décide d’engager une réforme administrative des armées pour ne plus connaître de Rossbach… Le service de santé est concerné et c’est Piarron de Chamousset qui est chargé d’aller sur place, accompagné de Louis-Claude Cadet de Gassicourt, nommé inspecteur des pharmacies. Il y retrouve Pierre Bayen, mais aussi Parmentier, tout jeune, qui connaît ses premières expériences de pharmacien militaire. Les quatre hommes se lient d’une amitié qu’ils garderont longtemps. Pierre Bayen aide Chamousset dans sa mission, fait régner la discipline et lui propose de rendre obligatoire le formulaire pharmaceutique dans les hôpitaux militaires. De retour de la guerre, Bayen devient apothicaire et est nommé apothicaire-major des hôpitaux militaires et des camps et armées du roi. Il sera ensuite inspecteur du service de santé. Il est toujours considéré comme le père de la pharmacie militaire.

Le précurseur de Lavoisier.

La grande carrière militaire de Bayen (il y passa 42 ans de sa vie) et ses nombreuses accointances politiques, occultèrent son activité de savant chimiste. Autre raison à cette zone d’ombre, le fait qu’il brûla ses écrits pendant la période de La Terreur. Élu membre du Collège de Pharmacie, et, plus tard, membre de l’Institut, Pierre Bayen avait pourtant plusieurs préoccupations chimiques et le gouvernement lui confia des missions. On lui demanda, entre autres, d’analyser les eaux minérales du territoire national (il venait de publier un mémoire sur les eaux de Bagnères-de-Luchon) et de faire des recherches sur les remèdes secrets, à base de mercure, utilisés dans les hôpitaux, en particulier contre les maladies vénériennes, telle la syphilis. Les pilules de Keyser, par exemple, étaient classées parmi les fameux remèdes secrets dont on essayait régulièrement de contrôler la fabrication et la délivrance et étaient composées d’acétate de mercure. À cette occasion, Bayen entreprend, dès 1774, des expériences avec les oxydes de mercure qu’il isole en vase clos et chauffe. Il constate qu’un gaz se dégage et est convaincu, après l’analyse de sa densité, que ce n’est pas le phlogistique de Stahl. Il publiera cette découverte dans le « Journal de Physique » et racontera son expérience à l’Académie des Sciences devant Lavoisier, qui est dans le public. Ce dernier saura tirer profit de l’intuition de Bayen, découvrira l’oxygène et, pourtant, ne rendra jamais hommage à son prédécesseur.

Le Bien Public avant tout.

Bayen est aussi connu pour s’être intéressé à la géologie et à l’étain, dont il prouve que la teneur en arsenic n’est pas dangereuse pour la santé. Dans son éloge, Parmentier dit ces mots qui décrivent la personnalité de Bayen, homme discret et tourné vers le bien public : « Bayen était un homme au jugement très sain, toujours dirigé par la force de la raison et l’habitude de l’expérience ; son esprit était vaste, lumineux et solide ; sa mémoire était prodigieuse, sa conversation toujours instructive et amusante. Il savait beaucoup, parlait bien, quelquefois longuement. Toujours content de son sort, il n’étendit jamais ses désirs au-delà de ses besoins : l’amour de l’or ne souilla point son âme ; il porta le désintéressement jusqu’à l’excès ; plus attaché aux sciences qu’à sa fortune, il ne vivait que pour la patrie. O Bayen ! Mon maître, mon collègue et mon ami ! Quand je t’offre ce dernier hommage, une sorte de consolation se mêle à ma juste douleur ; c’est qu’au moins j’ai fait connaître un homme inconnu, j’ose le dire, à lui-même ; et qu’en ouvrant le dépôt de ta confiance et de ta pensée, j’ai vengé ton génie modeste de l’obscurité dont tu te plaisais à l’envelopper ; mais que ce tribut coûte cher à l’amitié, puisque je n’ai pu le payer qu’à ton ombre» À titre posthume, ses « Opuscules chimiques » seront publiés.

Ses recherches sur les sels mercuriels, en 1774-1775, s’ancrent dans le développement de la doctrine pneumatique et le tournant vers la chimie moderne. Et dire que, petit garçon, c’est la curiosité d’un couteau gravé à l’acide qui l’orienta vers la chimie. Pierre Bayen fut un scientifique plus instinctif qu’on ne le pense…

* Voir dans « le Quotidien du Pharmacien » n° 2973 du 14 janvier 2013, « Le laboratoire explosif de Guillaume-François Rouelle ».
JULIE CHAIZEMARTIN

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2992