« APRÈS avoir fixé sur les régions frontopariétales les deux larges électrodes trempées de solution saline, nous avons commencé, prudemment, avec un courant de faible intensité de 80 volts pour 1/5 de seconde. On obtint instantanément une secousse avec contracture de tous les muscles en semi-flexion, après quoi le sujet retomba sur le lit sans perdre conscience : il se mit tout de suite à chanter à tue-tête puis se tut ».
Rome. Mars 1938. Le psychiatre italien qui œuvre a nom Ugo Cerletti. Quant à l’homme d’une quarantaine d’années que secoue la contracture, il a été trouvé à la gare de Milan quelques mois auparavant, s’exprimant dans un langage incompréhensible, en proie à des hallucinations. Apathique, aboulique, il reste depuis étendu sur un lit en marmonnant dans son jargon. Un diagnostic de schizophrénie a été posé…
Subitement, ce patient s’exclame d’une voix claire : « Non, pas une seconde fois, c’est la mort ! »… La supplique, venant d’un sujet qui ne s’exprimait plus que de façon énigmatique, ébranle la détermination du médecin. Toutefois, il applique une nouvelle décharge qui déclenche cette fois une crise d’épilepsie s’accompagnant d’une cyanose cadavérique du visage. Revenant à la conscience, le patient se soulève pour s’asseoir, calme et souriant. Alors que l’assistance l’interroge, il répond simplement : « Je ne sais pas, peut-être ai-je dormi ». Après une série de vingt chocs et considéré comme guéri, l’homme sort de la clinique le 16 juin, se déclarant enthousiasmé par ce traitement, d’autant plus qu’un acouphène pénible qui le tourmentait depuis deux ans a disparu…
L’utilisation de l’électricité en thérapeutique est ancienne : au Ier siècle, le médecin de l’empereur Claude, Scribonius Largus, traitait les patients migraineux ou « insensés » en appliquant sur leur scalp un poisson torpille vivant (d’où leur « torpeur »). L’électrothérapie fut mise en œuvre sous diverses formes par les médecins du XVIIIème au début du XXe siècle dans des indications somatiques comme psychiatriques.
C’est forts d’observations rapprochant schizophrénie et épilepsie et bons connaisseurs des techniques de chocs alors appliquées aux malades mentaux (injection de cardiazol, choc insulinique), que deux neuropsychiatres italiens, Ugo Cerletti (1877-1963) et Lucio Bini (1908-1964), testèrent l’efficacité de crises comitiales induites par un choc électrique, posant ainsi les principes de l’électroconvulsivothérapie (ECT) moderne. Les succès qu’ils obtinrent plaidèrent pour la technique qui se généralisa. En France, un radiologue, Marcel Lapipe, et un psychiatre, Jacques Rondepierre, utilisèrent le « sismothère », conçu par leurs soins en 1941 à l’hôpital de Ville Évrard. L’ECT, plébiscitée dès les années 1950, fut rendue moins anxiogène pour le patient par le recours à l’anesthésie générale et à la curarisation. L’avènement de médicaments psychoactifs à partir de 1952 réduisit temporairement son intérêt, mais, très vite, les résistances à ces traitements justifièrent pleinement le recours aux « électrochocs » dans le traitement de diverses maladies mentales.
La stigmatisation de la psychiatrie orchestrée par le mouvement de l’« antipsychiatrie » dans les années 1960 diabolisa l’ECT au point qu’elle fut interdite dans certains états américains. L’intérêt évident de ce traitement explique cependant que, dès les années 1980, pragmatisme et raison l’aient emporté : l’ECT est désormais couramment appliquée, avec leur accord, à certains patients dépressifs ou bipolaires dans nos hôpitaux.
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