NICOLAS VAUQUELIN a sa statue dans la cour de la faculté de Pharmacie, rue de l’Observatoire, à Paris, à côté de celle de Parmentier. Sculptée par Pierre Hébert, en 1866, le savant est figuré avec, dans sa main gauche, la découverte du chrome qu’il fit en 1797 à partir du plomb rouge de Sibérie et, à ses pieds, une inscription indiquant « analyse des pierres et des eaux minérales, analyse organique immédiate ». On connaît bien son nom, mais on connaît moins bien l’homme et ce qu’il a réalisé. Les multiples expériences de Nicolas Vauquelin ont pourtant confirmé des théories et ouvert la voie à d’autres, à une époque où la chimie a besoin de s’affirmer et de se débarrasser de vieilles idées reçues. Sa carrière permet ainsi de revenir sur la période révolutionnaire, mouvementée et, en même temps, terreau de nouvelles idées.
L’histoire de ses débuts difficiles est souvent racontée, en particulier l’épisode durant lequel, embauché tout jeune adolescent chez le pharmacien Mésaize, à Rouen, il est puni pour avoir noté quelques phrases au sujet d’éléments pharmaceutiques. Il sera renvoyé de l’officine. Muni seulement de six sous en poche, il décide alors de tenter sa chance à Paris. Après quelques passages chez des pharmaciens, il tombe malade et doit être hospitalisé à l’Hôtel-Dieu. C’est ici que son destin change. Il rencontre le pharmacien Chéradame, qui le présente au grand Antoine-François Fourcroy. Ce dernier enseigne à cette époque avec succès la chimie au Jardin des Plantes du Roi.
L’homme providentiel.
C’est l’homme providentiel pour Nicolas Vauquelin. Il lui permet de travailler dans un laboratoire à la pharmacie de Goupil, rue Sainte-Anne, où il peut enfin mettre à profit ses talents d’analyste et de chercheur. Il devient son mentor, puis son associé. Ils tenteront même de créer une droguerie, rue du Colombier, à partir de 1803, mais cette entreprise n’aura jamais de succès et finira par faire faillite. Ensemble, ils publient de nombreux résultats de travaux scientifiques. À ce propos, Cuvier écrivit : « Leurs deux noms sont unis pour un si grand nombre de mémoires, d’expériences et de découvertes, qu’ils demeureront inséparables dans l’histoire des sciences. » Lequel sert le plus l’autre ? Il semble que Vauquelin apporte beaucoup à Fourcroy par son exactitude et son acharnement au travail. Fourcroy, lui, permet au jeune pharmacien d’être apprécié et remarqué dans le grand monde et d’entrer à l’Académie des Sciences. Et comme Fourcroy vient de soutenir Lavoisier sur la réfutation de la théorie du phlogistique, Vauquelin se trouve de ce fait du bon côté de la barrière, du côté de la chimie moderne qui, petit à petit, va prendre son essor. Il y participe lui-même en découvrant le chrome, qui allait embellir le monde industriel quelques décennies plus tard, puis l’oxyde de béryllium ou glucine, à partir de l’analyse de l’émeraude.
L’époque est au changement, de grandes écoles sont créées dont l’École des Mines et l’École Polytechnique. Après l’obtention de sa maîtrise en pharmacie, Vauquelin s’y voit offrir un poste d’enseignant. Il obtient également la chaire de chimie au Collège de France et enseigne au Jardin des Plantes. Enfin, encore grâce à Fourcroy qui participe activement à la réorganisation des enseignements de santé en tant que Directeur de l’Instruction Publique, il prend en 1803 la direction de la nouvelle École de Pharmacie de Paris. Il ne manque plus que la légion d’honneur, il est l’un des premiers à l’obtenir lorsqu’elle est instituée par Napoléon Bonaparte en 1802. Mais, chose encore plus incroyable, il accède, à la mort de Fourcroy, en 1809, à la chaire de chimie à la faculté de médecine, après avoir présenté une thèse sur la matière cérébrale. Rien ne l’arrête plus.
Commissaire aux poudres.
Évoquer la carrière de Nicolas Vauquelin, c’est aussi revenir sur le rôle des scientifiques et des pharmaciens durant la période révolutionnaire, appelés pour des missions spécifiques, en particulier celle de récolter de grandes quantités de salpêtre pour la fabrication de poudre. Le 4 décembre 1793, en effet, le Comité de salut public décrète « l’extraction révolutionnaire » du salpêtre. L’abbaye de Saint-Germain-des-Prés est même transformée en atelier de fabrication du salpêtre tandis que, aux quatre coins de la France, les citoyens sont priés de trouver du salpêtre dans les carrières, les grottes ou les caves. Nicolas Vauquelin sera un des plus actifs en tant que Commissaire aux Poudres. Envoyé en Indre et Loire, il récolte et purifie le salpêtre pour en faire de la poudre efficace pour les armées de la République. En effet, le salpêtre était avant importé d’Inde ou de Hollande, mais cette fois, la France est encerclée de toutes parts par les armées européennes et doit se défendre seule.
Vauquelin sort grandi de sa participation énergique à l’effort militaire. Dans le même temps, ses recherches avancent toujours et se focalisent notamment sur les pierres précieuses. Vauquelin les aime et voit en elles des corps aux multiples secrets chimiques. À tel point qu’il postule pour devenir essayeur à la Monnaie de Paris. Pour prouver ses compétences, il n’hésite pas à écrire le « Manuel de l’Essayeur », dans lequel on peut lire ceci : « M. Couturier, fabricant de chaînes à maillons, s’étant aperçu que les chaînes qu’il mettait en couleur perdaient plus en poids qu’elles ne haussaient en titre, s’adressa à moi pour en découvrir la cause. Je fis en conséquence, devant un assez grand nombre de fabricants bijoutiers, l’analyse des eaux de couleur pour en séparer l’or et l’argent qu’elles contenaient. Il en est résulté que tout l’or et l’argent dissous dans lesdites eaux en ont été entièrement retirés. » À la suite de cette expérience, les orfèvres et bijoutiers de la capitale, dont les affaires avaient repris, se cotisent pour lui offrir un service en argenterie !
Un souvenir lumineux.
Notre savant s’intéresse aussi aux matières animales et végétales. En étudiant les asperges par exemple, il découvre, en 1806, le premier acide aminé, l’asparagine. Avec Antoine-François Fourcroy, il étudie l’écorce du quinquina et anticipe ainsi les découvertes de Pelletier et Caventou qui isoleront la quinine en 1820. Et bien d’autres analyses encore sont à mettre à son actif. Passionné et méticuleux, il ne cessa jamais de travailler durant cette période de transition où la chimie devient une véritable science.
Dans l’ombre de son laboratoire, resté toujours modeste malgré les honneurs, il n’a probablement pas compris totalement, de son vivant, combien ses analyses ont pu être essentielles à l’histoire de la pharmacie. D’une timidité maladive, tombant périodiquement malade avant les cours qu’il donnait, Nicolas Vauquelin laissa pourtant un souvenir lumineux à ses élèves, en particulier Eugène Chevreul. Loin du portrait peu flatteur que Balzac dresse de lui dans son roman César Birotteau, il fut un « passeur » de connaissances et un des plus grands « curieux » de son temps.
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