EN JANVIER 2009, un couple de jeunes fiancés, âgés de 19 ans, se présente aux urgences pour un état de choc apparu deux heures après avoir mangé un plat au curry. Ils croient avoir été empoisonnés.
Tous deux présentent une faiblesse importante avec des sueurs, des paresthésies (périorales, puis des membres), une perte de la vision, des douleurs abdominales et des vomissements profus qui ne cèdent pas sous antiémétiques. Une heure après l’admission, l’homme est agité et tachycarde, avec des foyers ectopiques ventriculaires qui progressent vers une tachycardie ventriculaire résistante à l’amiodarone et aux manœuvres de cardioversion. Le décès du jeune homme survient une heure plus tard, après une hypotension, des convulsions et un épisode de fibrillation ventriculaire.
Les signes étaient identiques mais moins violents chez la jeune femme, qui a été traitée par perfusions de magnésium et d’amiodarone, par lavage gastrique et hémofiltration, pour tenter de débarrasser le poison suspecté. Une ventilation assistée est mise en place et des inotropes sont administrés. La malade se rétablit complètement en une semaine.
Quel poison a pu occasionner semblable tableau ? Les auteurs écartent l’arsenic (donne un tableau digestif sévère, mais ne cause pas d’anomalies neurologiques), la digoxine (ne cause pas d’anomalies neurologiques aiguës), la nicotine (donne une paralysie flaccide avec hypersécrétion, absente chez les patients), l’atropine (mydriase et hyperréflexie, absentes également), les glycosides cyanogènes (vomissement et hypotension, mais pas de signes neurologiques aigus).
L’aconitine (Aconitum napellus) semblait être une étiologie possible. Dans un ouvrage concernant ce toxique*, le tableau décrit est proche de celui du jeune patient, se terminant par « l’individu expire ». Mais une première analyse ne décèle pas d’aconitine.
Un ami proche de l’homme décédé avait été vu « trifouillant » le curry et la piste d’un composé ajouté à ce plat est poursuivie. L’investigation de la police aboutit à une poudre indienne contenant des herbes. L’éclairage des cas vient de descriptions du XIXe siècle, rapportant l’existence d’empoisonneurs qui utilisaient une plante trouvée sur l’Himalaya, Aconitum ferox, qui contient de la pseudo-aconitine, un alcaloïde plus toxique encore que l’aconitine.
La piste s’avère productive. Un examen par chromatographie/spectro?métrie de masse révèle la présence de pseudo-aconitine à la fois dans la poudre indienne d’herbes, dans le plat de curry et dans les prélèvements réalisés chez les malades.
Comme l’aconitine, la pseudo-aconitine cause une ouverture permanente des canaux ioniques Na+ provoquant des perturbations dans les conductions à la fois neurologiques et cardiaques.
Il n’existe pas d’antidote spécifique. Les patients peuvent survivre sans séquelles si l’oxygénation et la perfusion sont maintenues, par exemple par mise sous circulation extracorporelle et assistance ventriculaire gauche.
« Notre cas montre que la littérature du XIXe siècle peut éclairer des cas du XXIe siècle », concluent Kathleen Bonnici et coll. Le suspect a été arrêté pour meurtre.
* A.Fleming, «?An inquiry into the physiological and medicinal properties of the Aconitum napellus, to whici are added observations on several species of aconitum.?» London, John Churchill, 1845: 43-44.
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