EN 2008, plus d’un siècle après son ouverture, la pharmacie de Monts-sur-Guesnes, gros village de la Vienne situé entre Loudun et Chatellerault, réclamait quelques travaux de charpente. En prévision de ceux-ci, son titulaire actuel, Bruno Belin, met de l’ordre dans son grenier et y redécouvre une trentaine d’ordonnanciers, méticuleusement tenus par ses prédécesseurs. Ces documents se révèlent d’une richesse historique insoupçonnée, et donnent au pharmacien l’envie de retracer toute l’histoire de l’officine… mais aussi celle du village. Un bel ouvrage richement illustré * est né de ce voyage dans le passé, et s’égrène page par page, comme les années d’un « vieux temps » qui n’était pas toujours aussi bon qu’on le croit parfois.
Il nous apprend que la première pharmacie de Monts-sur-Guesnes fut créée en 1890 – quatre ans après l’arrivée du chemin de fer -, puis transférée en 1902 dans ses locaux actuels. La commune connaît alors une forte expansion démographique et commerciale, pour le plus grand bien du premier pharmacien, Louis-François Charière, dont les ordonnanciers permettent de suivre précisément les activités et les préparations. Il se retire en 1913 et vend sa pharmacie à un jeune confrère, René Arambourou. Un an plus tard, c’est la Grande Guerre et la mobilisation du nouveau pharmacien comme aide-major sur le front belge. La grande histoire croise souvent la petite, comme en témoigne une lettre aigre-douce reproduite dans le livre : inquiet de ne pas voir arriver la fin du paiement de l’officine, M. Charière écrit, début 1915, à son successeur mobilisé. Celui-ci lui, épuisé par les combats, lui répond assez froidement qu’il le réglera dès que possible, mais ajoute qu’il n’a pas, lui, envoyé ses notes à ses clients et « n’aurait pas osé le faire à de pauvres gens partis depuis six mois défendre leur pays ». M. Arambourou ne sera toutefois démobilisé qu’en mai 1919, puis revendra l’officine trois ans plus tard pour s’installer à Poitiers. Henri Renan, son successeur, s’empêtrera pour l’amour de sa jeune maîtresse dans un divorce interminable, et fera même faillite en 1925, avant de racheter plus tard l’officine, qu’il conservera jusqu’en 1935.
Histoire vivante.
Le 19 août 1944, Monts-sur-Guesnes échappe de peu au destin tragique de Maillé, village de la région anéanti, comme Oradour-sur-Glane deux mois plus tôt, par les SS au cours de leur retraite : le pharmacien d’alors, Maurice Delagarde, et d’autres civils, sont pris en otage et mis en joue par les Allemands, en représailles d’une attaque de résistants, mais le massacre fut évité in extremis grâce à l’intervention d’un officier. Après la guerre, M. Delagarde sera élu maire, mais subira, un an plus tard, une déroute électorale pour une histoire de jardin public qu’il souhaitait réaliser contre l’avis de ses administrés. Ses déboires politiques ne l’empêcheront pas de gérer la pharmacie jusqu’en 1961, avant que son fils, Jacques, ne lui succède pendant 23 ans, jusqu’en 1984. Bruno Belin, lui, ne reprendra la pharmacie qu’en 1991 et, parallèlement à ses activités officinales, mènera une carrière politique nettement plus fructueuse que celle de Maurice Delagarde, puisqu’il est maire de Monts depuis dix ans, mais aussi premier vice président du conseil général de la Vienne**…
M. Belin a, en outre, mis sur pieds des « journées de l’histoire », organisées dans la commune pour stimuler l’intérêt de ses concitoyens pour l’histoire et le patrimoine ancien. Complété par des articles sur l’évolution de la pharmacie et du métier de pharmacien depuis 1890, son ouvrage s’inscrit lui aussi dans cette optique de découverte du passé, et rappelle magistralement combien l’histoire est vivante lorsqu’elle est bien présentée.
** Lire son portrait dans notre édition du 2 décembre 2010.
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