JACQUES BARATTE fonde une pharmacie en 1738 à Besançon et l’installe au 140 Grande-rue en 1754. On peut imaginer qu’à cette époque, elle possédait déjà une grande partie de ses magnifiques boiseries et de ses pots en faïence et verreries que l’on peut toujours admirer. Son histoire se poursuit de 1800 à 1859 avec le pharmacien Maire, qui vit probablement la naissance de Victor Hugo et fournit peut-être, comme certains aiment à le penser, des médicaments pour soigner et fortifier l’enfant qui était de constitution fragile, comme Hugo l’évoque lui-même dans les célèbres vers du premier poème de Feuilles d’automne :
« Ce siècle avait deux ans ! […] / Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, / Jeté comme la graine, au grès de l’air qui vole, / Naquit d’un sang breton et lorrain à la fois / Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix ; / Si débile qu’il fut, ainsi qu’une chimère, / Abandonné de tous, excepté de sa mère, / Et que son cou ployé comme un frêle roseau / Fit faire en même temps sa bière et son berceau, / Cet enfant que la vie effaçait de son livre, / Et qui n’avait pas même un lendemain à vivre, / C’est moi. »
Peut-être par la grâce des remèdes du pharmacien… en tout cas l’enfant survécu ! L’officine poursuivit son activité jusqu’à sa mise en vente, au début du XXe siècle. L’ensemble mobilier fut proposé à la ville de Besançon, qui ne put finalement l’acquérir à cause des graves inondations de l’année 1910 qui grevèrent les finances municipales. L’officine est alors vendue à un antiquaire parisien qui, lui-même, la revend au célèbre industriel Louis Singer, l’homme des machines à coudre, qui fait transporter le petit trésor pharmaceutique dans son château des Rochers, près de Saint-Jean-Cap-Ferrat. À sa mort, la pharmacie, comme le reste de ses biens, est mise aux enchères (les 24 et 25 octobre 1954) et est acquise par le richissime américain Franck Jay Gould pour la coquette somme de 3 576 000 francs. Ce dernier en fait don à la ville de Nice. La pharmacie est alors inaugurée et présentée au palais Masséna, puis au Palais Lascaris de Nice, dès 1955, où elle reste jusqu’en septembre 2013. Les amateurs l’auront probablement déjà vue dans ce lieu.
Un retour émouvant.
Hasard de l’histoire ou destinée toute tracée, la pharmacie vient de faire un ultime voyage pour retrouver son ancrage bisontin. Émilie Fouquet, attachée de conservation et responsable de la toute nouvelle Maison Victor Hugo, et Arlette Burgy-Poiffant, responsable du projet dans son ensemble, expliquent que l’idée de ramener l’apothicairerie dans ses murs d’origine émane de la ville de Besançon, pour retrouver la configuration de la maison natale de Victor Hugo. La pharmacie Baratte étant une des plus belles officines de ville conservée dans son jus XVIIIe en France, il s’agit d’une reconstitution historique, mais également d’un décor d’exception, à forte puissance évocatrice.
Miracle encore plus grand, l’apothicairerie, toute de bois et de faïences, n’a perdu pratiquement aucun de ses éléments durant ses multiples déplacements, démontages et remontages, ce qui en fait un témoignage unique et précieux de l’époque des premiers jours du grand homme. Son arrivée à Besançon a permis une restauration de toutes les pièces, réalisée par Philippe Hazaël-Massieux. Les 72 casiers et les 72 tiroirs de bois ornés de leurs cartouches peints, les 73 pots de faïences, presque tous du XVIIIe siècle, et les trois pots de monstre en faïence de style Rouen, ont retrouvé leur éclat d’origine. À remarquer plus particulièrement, les 27 pots de bois peint, éléments assez rares, les 75 bouteilles et flacons de verre avec leurs étiquettes émaillées et le beau mortier de porphyre.
Dans son écrin de la première heure, la pharmacie Baratte ne pouvait trouver meilleur emplacement. Le Palais Lascaris n’a d’ailleurs vu aucune objection à ce retour au bercail et a même reçu en échange de beaux portraits des ducs de Savoie, un instrument de musique et une horloge pour ses salles d’exposition. Le voyage se termine donc ici, bien au chaud, chez Hugo. Les passants sont intrigués et émerveillés. La pharmacie est devenue objet de collection et curiosité touristique. Elle est désormais visible par tous, mise en valeur et bichonnée pour de nombreuses années, ce qui est assez rare pour le noter dans l’histoire des anciennes officines. L’intérêt pour les belles pharmacies ne peut que se développer. Merci Hugo !
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