LORSQUE Claudie Pornin, attachée de conservation du patrimoine aux musées de Troyes, commence la visite de l’apothicairerie en nous montrant les six plus hautes rangées des étagères qui courent sur les quatre murs de la pièce, son émerveillement nous gagne. Les 319 boîtes de bois peint, aussi appelées “silènes”, de forme ronde ou rectangulaire, destinées à la conservation des plantes médicinales, dessinent comme une tapisserie aux multiples couleurs – bleu, rouge, orange, jaune, marron… – au-dessus des rangées de faïences, seulement accessible par une belle échelle de bois de chêne.
Au début de la reconstruction de l’Hôtel-Dieu, en 1706, l’apothicairerie fut la première salle édifiée avec son laboratoire attenant. Depuis cette époque, les magnifiques boîtes médicinales n’ont pas bougé de leur emplacement, spécialement étudié pour les accueillir, leur taille se calant juste à la hauteur des étagères. Chaque boîte est décorée d’un cartouche peint de la manière la plus raffinée, avec l’illustration et le nom de son contenant, l’ensemble constituant une véritable pharmacopée peinte du XVIIe siècle, réunissant les matières végétales (les plus nombreuses), animales et minérales connues à l’époque.
Des produits mythiques.
On voit les classiques sauge, verveine, coquelicot, rose de Provins, coloquinte, violette, sureau, tilleul, lavande romarin, laurier, cumin, angélique, aristoloche, guimauve, mélisse, millepertuis, muguet, genièvre, tussilage, bourrache ou petite centaurée, d’origine européenne, aux côtés des très connues mannes, encens, myrrhe, cannelle, opium, benjoin ou rhubarbe, venus d’Orient ou d’Afrique.
Ainsi, le savoir antique se mêle au savoir oriental. Le tout rappelle qu’il existait des produits mythiques, parfois venus de contrées lointaines, qui furent peut-être utilisés à l’apothicairerie de Troyes, comme la fameuse mandragore, aux vertus magiques et aphrodisiaques, ou le bézoard, dont le nom signifierait “maître du venin”, pierre miraculeuse que l’on trouvait dans l’estomac d’un animal (une sorte de bouc sur une des boîtes). On reconnaît aussi, dans le règne animal, l’éléphant, le cachalot, la corne de cerf ou de rhinocéros, le Bernard-l’Hermite, ou encore le castor et le dromadaire, très amusants tous les deux aujourd’hui, voire fantaisistes, quand on pense que les vertus médicinales se trouvaient, chez le premier, dans ses organes sexuels, et, chez le second, dans son urine. On aperçoit encore un crâne et une momie d’humain, utilisés dans les remèdes contre les saignements ou l’épilepsie et dont le caractère trépassé signifiait symboliquement la lutte contre la mort. Les bourreaux, par exemple, concurrents discrets des apothicaires, faisaient une belle affaire de la vente de cadavres !
Plus étonnantes sont les reproductions fidèles de produits exotiques comme le très rare sang-dragon ou l’ipécacuana des Amériques, tout juste découvert, qui venait d’être validé par l’école de médecine de Paris en 1690, réputé pour avoir guéri le Dauphin de la dysenterie. Les sciences médicales à Troyes étaient donc bien au fait de l’actualité. Mais quelles connaissances avait donc le peintre, encore inconnu, pour être si précis ?
On sait aujourd’hui que l’artiste a copié une partie des gravures de Jean Crespy dans l’Histoire des drogues du marchand droguiste parisien Pierre Pomet, qui donnait des cours au Jardin du Roi et dont le magasin La Barbe d’Or était rue des Lombards. Dans son ouvrage publié en 1695, Pomet décrit minutieusement chaque “drogue”, avec son origine, ses vertus médicinales et les maladies qu’elle peut soigner. Il dénonce aussi les mauvaises drogues trop souvent utilisées par les charlatans de son temps qu’il appelle “sophisticateurs”. Ainsi, une illustration d’une fausse drogue apprend au public à la reconnaître pour s’en méfier. On comprend pourquoi le deuxième titre de son ouvrage est “Le marchand sincère”, ce qui fait sourire aujourd’hui quand on pense que les produits décrits par Pomet rentraient dans plusieurs recettes farfelues.
L’apothicairerie de l’Hôtel-Dieu-le-Comte de Troyes émerveille aussi par sa précieuse collection de faïences : albarelli de la Renaissance, faïences de Nevers, chevrette originale du XVIe siècle dont le décor, probablement de Lyon, pose encore question… On a aussi des mortiers, des flacons de verre du XIXe siècle et une rare fontaine à thériaque en étain, faite à Troyes au XVIIe siècle. La visite se termine par le jardin des simples reconstitué avec les plantes jadis conservées dans les boîtes peintes.
Visiteurs, historiens et pharmaciens s’émerveilleront encore longtemps de cette apothicairerie qui n’a pas encore révélé tous ses secrets.
Apothicairerie de l’Hôtel-Dieu-le-Comte
Quai des Comtes-de-Champagne, 10000 Troyes
Tél : 03.25.80.98.97.
Ouverture : jeudi, vendredi, samedi, dimanche.
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