La pharmacie, un patrimoine vivant

L’esprit des apothicaires revit à Dijon

Publié le 30/05/2011
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Dans leur officine familiale, Claude et Christian Richard développent l’héritage d’un père qui avait fait du pilon et du mortier les symboles de son métier. Derrière leur vitrine au décor rétro pieusement conservé, se dissimule une véritable petite industrie de santé au service de milliers de patients.
Plus qu’une enseigne, une identité

Plus qu’une enseigne, une identité
Crédit photo : dr

Un patrimoine parfaitement conservé au cœur du vieux Dijon

Un patrimoine parfaitement conservé au cœur du vieux Dijon
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La modernité se cache derrière un décor pieusement conservé

La modernité se cache derrière un décor pieusement conservé
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L’HISTOIRE de la pharmacie Richard, sise rue Musette, au cœur du vieux Dijon, fleure bon la nostalgie et la tradition, sur fond de saga familiale et de réussite économique. Son passé s’inscrit sur son enseigne « La Croix Blanche », rachetée en 1954 par le père des actuels propriétaires, qui se lance alors dans la fabrication des préparations. Son talent, ses connaissances et son enthousiasme vont lui permettre au cours de trente ans d’exercice de se tailler une réputation nationale grâce à ses spécialités. De toute la France, on achète ses tisanes, ses thés, ses dentifrices, ses médicaments et ses potions, reconnus pour leurs bienfaits et leur efficacité thérapeutique.

Les deux jumeaux – Claude et Christian, 60 ans aujourd’hui – vont y vivre une enfance passionnante, assistant aux succès d’un géniteur féru de vertus pharmaceutiques et qui leur transmet une haute idée de son métier.

« Il menait un combat considéré alors d’arrière-garde, en maintenant la préparation, se souvient le second, fabricant dans son laboratoire des produits subordonnés au visa de l’inspection, mais uniques dans leur conception. Membre de l’association Asbopharm (regroupant des pharmaciens bourguignons) il échangeait avec ses confrères formules et recettes. Très actif syndicalement, il connaissait tout le monde, dynamisait ses activités, diffusait ses trouvailles, exerçait dans toute la beauté du terme la profession qu’il avait choisie. Hélas, arrivait le doute sur les préparations maisons, et le refus de l’Inspection de continuer à donner des visas. »

À la fin des années 1970, prenant la suite logique du père, dans toute la gloire pagnolienne de ce dernier, les titulaires actuels continuent alors l’activité, nourris du savoir transmis depuis leur enfance. Diplômés de la faculté de Dijon, ils rachètent les parts familiales en 1980, hésitants sur leur avenir, incertains de pouvoir reprendre le flambeau avec les nouvelles donnes. Leur officine quant à elle ne change pas, emblématique du vieux Dijon, avec ses bois vernis et ses pots faïencés, imprimant en quelque sorte une image de leur ascendant dans la mémoire collective.

Une multinationale discrète.

« Heureusement, se souvient Christian, arrivaient les formulaires, promus par d’autres professionnels et des associations. Nous allions y trouver notre bonheur, pouvant à nouveau fabriquer de grandes quantités de médicaments, sur des formules reprises, avec, parmi elles, un nombre conséquent de cosmétiques. Ces derniers allaient être le fer de lance de notre développement. »

En parallèle, l’officine des « Frères Richard », toujours « Croix Blanche », se devait de mettre en accord ses vocations et son apparence. Décidés à faire perdurer l’existant et leurs spécificités, les deux associés revoient la décoration intérieure et extérieure, en lui conservant ses aspects originaux, tout en modernisant l’outil. Ainsi derrière les boiseries se dissimulent les ordinateurs, et si les vitrines ont le look très kitch des années cinquante, l’activité interne se veut quant à elle plus proche d’une mini-industrie du IIIe millénaire que du commerce de détail de grand-papa. Le patrimoine est cependant conservé, que ce soit dans le bâti comme dans la pratique, adapté aux contraintes de son temps.

« D’un côté, par les formulaires, nous développions de nouveaux produits, révèle Christian Richard, supprimant à contre cœur les spécialités maison de notre père. Il faisait des suppositoires de bismuth, donnait des conseils, etc.. Nous engagions une diversification identique dans l’esprit, mais porteuse d’avenir surtout grâce aux cosmétiques. En même temps, nous anticipions, avec des machines, du personnel, une communication, un local plus grand, un atelier de travail. »

De nos jours, la Croix Blanche dissimule derrière ses murs d’un autre temps une petite usine laboratoire, où sont conçus des dentifrices, des crèmes, des thérapies diverses, en cohérence avec les besoins dermatologique ou autres de ses patients. Avec 1,9 million de chiffre d’affiares en 2010, l’affaire occupe une quinzaine de personnes, mais les directeurs regrettent fortement l’absence de collaboration avec le milieu médical. Aucun praticien local ne travaille avec eux, malgré leur célébrité et leur réputation non usurpée d’efficacité et de sérieux, trop engagé avec les prescriptions médicamenteuses pour se tourner vers une médecine moins classique.

Les productions phares des deux pharmaciens sont issues principalement de la cosmétique, avec des résultats plus que probants : leur dentifrice se vend au-delà des frontières, Claude a de son côté lancé une ligne d’assainisseur d’atmosphère aux qualités olfactives très marquées, qui remporte un franc succès (sousla marque Aroma’Spray), avec des dizaines de milliers d’unités commercialisées par une quarantaine de représentants internationaux (via une filiale montée par les deux jumeaux).

« Mais nous sommes toujours, et nous le revendiquons, des apothicaires de quartier, rappelle Christian Richard. Nous avons notre histoire, notre recherche du passé, nos traditions, notre mémoire liés à notre pharmacie, et à ce métier au service des autres. Notre devanture est notre identité, qui nous a valu d’être reconnus, primés par la ville de Dijon, mais aussi parce qu’elle représente notre marque de produits. »

JEAN-PIERRE GOURVEST

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 2841