Occupant jadis une place considérable en médecine, la chair de vipère était utilisée contre les maux les plus divers. C’était notamment un élément essentiel de la Thériaque, dont la composition intégrait encore au XVIIe siècle des squames de scille, de l’opium de Smyrne et des dizaines d’autres ingrédients. Cet antidote imaginé dans l’Antiquité par Galien restait un « incontournable » sous Louis XIV, dans un contexte où les empoisonnements défrayaient la chronique, y compris au plus haut niveau de l’état : témoin en fut la célèbre « Affaire des Poisons ». Les ventes de Thériaque ne cessaient alors d’augmenter mais les fraudes étaient légion jusqu’à ce qu’un apothicaire en normalise la préparation…
Empli d’ambitions, Moyse Charas (1619-1698) - c’est de lui qu’il s’agit - gagna Paris en 1646 où il ouvrit une officine rue des Boucheries-Saint- Germain, à l'enseigne déjà évocatrice des « Vipères d'or ». Devenu apothicaire officiel de Philippe d’Orléans (« Monsieur », le frère du roi Louis XIV), il fut en charge à partir de 1667 de la fabrication de la Thériaque qu’il réalisait, pour éviter toute suspicion de contrefaçon, en présence du Lieutenant-général de police Nicolas de La Reynie, du procureur royal, du doyen et des professeurs de la Faculté de Médecine, des gardes-apothicaires et d'une assistance diversifiée. Il exposa son approche personnelle de cette préparation dès 1668 dans un ouvrage, « La Thériaque d'Andromachus ».
Commandant des vipères notamment en Poitou, en Dauphiné ou en Bourgogne, il veillait à ce qu’elles fussent chassées à la bonne saison et devint rapidement expert dans l’art de les accommoder, qu’il s’agisse d’en tirer une huile, une poudre ou un bouillon… Il publia d’ailleurs en 1672 une somme faisant autorité « Nouvelles expériences sur la vipère ». Cet ouvrage suscita une controverse avec Francesco Redi (1626-1697), médecin du duc Ferdinand de Toscane : à en croire Charas, le venin se formait lorsque le serpent, agressé, dégorgeait ses « esprits irrités » ; Redi affirmait qu’il était permanent dans la salive de l’animal. Les deux médecins s’accordaient cependant sur le fait que le venin appliqué sur une peau saine ou ingéré demeurait inoffensif. Charas ajouta en 1672 une « Suite aux nouvelles expériences sur la vipère ».
Bouillon fortifiant
Mais la vipère était plus qu’un ingrédient de la Thériaque. Sa tête « liée dedans un linge et pendue au cou », comme l’expliquait Charas dans sa Pharmacopée Royale, Galénique & Chymique, était un excellent remède contre les « esquinancies » - les angines -. Le reptile passait pour guérir les vérolés et les « ladres » (pestiférés) mais était apprécié dans des indications qu’une moindre sévérité faisait traiter par de simples bouillons… Ainsi, Mme de Sévigné écrivait à propos de Mme de La Fayette en 1679 : « Les bouillons de vipères lui redonnent une âme, (…) les vipères lui donnent des forces à vue d’œil », expliquant : « On prend une vipère, on lui coupe la tête, la queue, on l’ouvre, on l’écorche, et toujours elle remue. ». Son frère Charles de Sévigné n’était pas en reste : « C’est à ces vipères que je dois la pleine santé dont je jouis (…). Elles tempèrent le sang, elles le purifient, elles rafraîchissent au lieu d’échauffer et de dessécher (…). Priez M. de Boissy de vous faire parvenir dix douzaines de vipères du Poitou, dans une caisse séparée en trois ou quatre, afin qu’elles y soient bien à leur aise, avec du son et de la mousse ; prenez-en deux tous les matins, coupez-leur la tête, faites-les écorcher et couper par morceaux, et en farcissez le corps d’un poulet (…). ».
L’usage de chair de vipère persista longtemps : l’imagine-t-on, il fallut attendre le XIXe siècle pour voir le Codex formuler une Thériaque… sans vipère.
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