LA PHARMACIE Lhopitallier, une des plus anciennes de Paris dans laquelle plusieurs générations de pharmaciens se relayèrent, est un témoin unique de la profession depuis le XVIIIe siècle. Ses boiseries en chêne de Hongrie et ses alambics de cuivre montés sur une énorme paillasse qui abrite les fours forment un ensemble patrimonial devenu très rare aujourd’hui. Le propriétaire des lieux, Roger Lhopitallier, vient d’engager une procédure pour en faire don au musée Carnavalet. Située en haut de la rue Soufflot, cette officine de quartier faisait partie intégrante de la vie quotidienne des habitants depuis 1857 et gardait un charme à l’ancienne qui a presque totalement disparu de nos cités.
Lorsque Roger Lhopitallier a annoncé, à la fin de l’année dernière, qu’il prenait sa retraite, la question du repreneur des locaux et du devenir du mobilier et des objets pharmaceutique se posa de manière cruciale. En effet, non protégé au titre des Monuments historiques, l’ensemble risquait d’être rapidement démantelé, puis vendu aux enchères. Alertée, la responsable des collections d’histoire de la pharmacie à l’Ordre national des pharmaciens, Dominique Kassel, décida donc de chercher un lieu de refuge et d’accueil pour un ensemble qui ne pouvait être dissocié de l’histoire de Paris.
L’histoire se répète.
Après plusieurs pourparlers, le vœu du pharmacien a été entendu par le musée de l’histoire de Paris, qui a estimé la valeur historique et artistique de l’officine. Le musée Carnavalet se doterait ainsi d’un deuxième ensemble pharmaceutique, le premier étant la devanture de la pharmacie Lescot qui trône aujourd’hui dans la section des Enseignes, au rez-de-chaussée de l’établissement. Profitons-en pour évoquer cette dernière, dont l’histoire n’est pas banale et se rapproche étrangement de celle de la pharmacie Lhopitallier (2).
En 1795, l’apothicaire Jean-Louis Lescot ouvre son officine au 14, rue de Grammont, dans le 2e arrondissement de Paris. Sa devanture est si élégante, dans un style néoclassique qui annonce le grand style Empire, qu’elle fut reprise pratiquement à l’identique pour un modèle de gravure dans les « Collection des maisons de commerce de Paris les mieux décorées » par Pierre de La Mésangère, célèbre éditeur de revues de mode et d’élégance, qui était considéré comme la référence en matière de bon goût au sein de la société parisienne du début du XIXe siècle. Ornée de deux femmes ailées, des Victoires en reliefs dorés, et de deux pilastres soutenant un fronton triangulaire à l’intérieur duquel se trouve le serpent emblème de la pharmacie, cette devanture est importante pour l’histoire du goût explique Jean-Marie Bruson, conservateur au musée Carnavalet : « Il s’agit d’un des rares exemples de décor de boutique de l’époque révolutionnaire. » En atteste d’ailleurs, plus proche de nous, l’œil du photographe du vieux Paris, Eugène Atget, qui ne s’y est pas trompé en prenant un cliché daté de 1903 de cette devanture, sur lequel on peut toujours distinguer, écrits sur la porte d’entrée, ces quelques mots « Lemaire, pharmacien de 1re classe ». Félix Lemaire fut le dernier pharmacien de la pharmacie Lescot. Et, tout comme Roger Lhopitallier aujourd’hui, lorsqu’il prit sa retraite, en 1913, la conservation in situ du décor et du mobilier de l’officine fut très compromise. À l’époque en effet, la conservation du patrimoine, d’autant plus d’un patrimoine professionnel, n’était pas la priorité et il fallut que la Commission du Vieux Paris intervienne pour sauver la devanture de la pharmacie Lescot de la destruction. Ainsi, dans le procès-verbal de la séance du 5 décembre 1913 de la Commission du Vieux Paris, on peut lire qu’« une curieuse devanture de pharmacien, située rue de Grammont, 14 » a retenu l’attention des membres, que « le nécessaire a été fait, et que la compagnie La France, qui en est propriétaire, a bien voulu la céder au musée Carnavalet. La pharmacie comportait également, à l’intérieur, un beau comptoir, une porte décorée, et de nombreux pots anciens, mais il a été impossible d’obtenir ces objets, déjà vendus par ailleurs. Quoi qu’il en soit, l’ensemble obtenu est fort intéressant et sera remonté au musée Carnavalet ». Il s’agissait d’une des premières mesures de sauvetage d’un patrimoine pharmaceutique « vivant ».
Près d’un siècle après le don de la devanture de la pharmacie Lescot, l’histoire semble vouloir se répéter. La fille de Roger Lhopitallier, Florence Bellan, confie qu’elle serait heureuse de voir que la pharmacie familiale, si connue des passants, des touristes, des habitués et des étudiants qui travaillent en face, puisse « acquérir une pérennité, avoir une autre vie, qu’elle nous survive et qu’elle puisse être le témoin pour les générations futures d’un cadre de vie historique ». Une question reste cependant : comment vont se passer le démontage et le remontage de l’ensemble ?
Le don envisagé est un beau geste qui redonne espoir pour la conservation et la mise en valeur de notre patrimoine. Et à l’heure où le musée Carnavalet organise une exposition sur les photographies de Paris d’Eugène Atget (3), il est de bon ton de repasser admirer la devanture de la pharmacie Lhopitallier qui, elle, reste en place, et de se dire que les témoins les plus emblématiques du Paris de nos arrière-grands-parents sont préservés et que l’histoire séculaire de la pharmacie a aussi sa place au chaud dans un musée. Un livre d’or a été ouvert par Roger Lhopitallier où chacun peut apposer sa signature, décrire un souvenir, rappeler l’âme du lieu, avant la disparition définitive de l’officine rue Soufflot.
(2) Pour l’histoire de la pharmacie Lescot, voir la thèse de PHAM Thi Tuan-Anh « Pharmacie : patrimoine classé ? L’exemple des boiseries de la pharmacie Sainte-Anne », Université Paris XI, 21 mars 2003
(3) Exposition « Eugène Atget, Paris » au musée Carnavalet jusqu’au 29 juillet 2012.
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