C’EST Jean-Claude Talaïa, guide bénévole passionné par l’histoire de sa ville, qui raconte. À Gray, explique-t-il, c’est avant tout l’âme franc-comtoise qui transparaît un peu partout dans le patrimoine architectural préservé ; c’est l’orgueil des villes de la région de Bourgogne pour rester indépendantes. Le splendide Hôtel de Ville rappelle l’époque fastueuse de la Renaissance, du temps où Gray était un port marchand florissant sur la Saône. Ses colonnes en marbre rouge de Sampans (Jura) et son magnifique toit recouvert de tuiles vernissées polychromes font la fierté de la ville haute. Et lorsqu’on descend vers la ville basse, on passe devant de nombreuses façades de maisons sur lesquelles de petites plaques indiquent « ancien couvent », « ancien hôtel particulier » ou « ancienne boutique d’apothicaire du XVIIIe siècle ». En face de cette dernière, justement, la grille de l’hôtel-Dieu, que l’on franchit.
La visite commence par une inscription gravée sur une pierre redécouverte lors de la restauration de l’édifice : « Le 25 août 1716 la première pierre de cet hôpital fut posée par Monsieur le comte de Montcault, général des armées du roi, Monsieur d’Ancier, premier président, et Monsieur Richardot, vicomte majeur de cette ville. » L’hôtel-Dieu de la Grande Rue voit ainsi le jour par lettre patente du roi Louis XIV autorisant la construction d’un établissement pour « y héberger les soldats et les pauvres de la ville lorsqu’ils seraient malades ». Il se substitue au vieil hospice de la Charité de la rue Vanoise devenu vétuste. C’est que, à l’époque, le royaume de France vient enfin de récupérer la province de la Franche-Comté, restée si longtemps sous la domination de la Maison d’Autriche. Après un XVIIe siècle de guerres et de révoltes violentes, Gray doit donc retrouver son équilibre, maintenu par des institutions efficaces. Il est loin le temps de la modeste maladrerie qui existait au XIIe siècle. Le nouvel hôtel-Dieu s’affiche comme le symbole d’une politique sociale et sécuritaire qui se veut sous contrôle.
La visite se poursuit à l’intérieur de la vaste chapelle, située au centre de la croix grecque que dessine le bâtiment, conçu par l’architecte Jacques-François Tripard, qui a adopté le plan à la mode pour la construction des hôtels-Dieu en Europe. Ainsi, les quatre grandes portes de la chapelle ouvrent sur les espaces qui accueillaient les dortoirs des malades, respectivement réservés aux femmes, aux enfants, aux hommes et aux militaires. Elles sont composées de magnifiques vitraux Art Nouveau, représentant la colombe du Saint-Esprit accompagnée d’un encensoir, exécutés par le maître verrier bisontin Alphonse Gorgeon. Sur les murs, de belles peintures religieuses, œuvres de Mennissier père et fils, constituent un décor émouvant – malgré leur mauvais état. Notre guide porte notre attention sur les impacts de balles toujours bien visibles au sommet de la voûte : ils proviennent des tirs de mitraillette des Allemands qui ont pris la coupole de la chapelle pour un poste d’observatoire militaire pendant la deuxième guerre mondiale ! Puis, sur le côté, on s’attarde sur une statue en bois de Pierre Fourier de Mattaincourt qui protège le lieu et rappelle que le saint trouva refuge à Gray après avoir été chassé de sa Lorraine natale par Richelieu. Il incarne ici le dévouement aux pauvres et aux plus démunis.
La visite se termine par la remarquable apothicairerie constituée de deux pièces entièrement boisées. À droite, en entrant, une vieille cuisinière fait face à l’armoire à poisons. Au milieu, deux mortiers sur une table. On apprend que l’endroit a fonctionné jusqu’en 1960. Le plus beau se trouve dans la deuxième salle. Le livre d’inventaire des remèdes est encore ouvert. Et, sur le mur de gauche, une série de 119 pots en faïence, en provenance des manufactures de Lyon, de Nevers et d’Igny-sur-Saône, une ville voisine de Gray, procure au lieu toute sa richesse. En face, les rayons à emplâtres côtoient des niches abritant des pots en bois tourné et en verre, encore pleins. Tout autour, se déploient les 164 tiroirs réservés aux plantes, aux racines et aux aromates. Enfin, une énorme presse finit de nous étonner. Comme l’indique le livre d’inventaire, tout dans l’apothicairerie de Gray est un petit miracle guidé par l’œuvre de charité : « Des remèdes que peut fournir ou la nature ou l’art, vous voyez l’assemblage ; de la charité c’est l’ouvrage ; c’est par la charité qu’il peut se soutenir. »
À la fin de la visite, lorsqu’on sort du bâtiment, on ne peut s’empêcher de se retourner une dernière fois pour admirer la corniche de l’édifice où se trouvent deux belles statues représentant la Foi et la Charité accompagnées de cette phrase : « Beatus qui intelligit super egenum et pauperem » c’est-à-dire « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et l’abandonné ». Tout est dit.
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