AU DÉTOUR d’un passage, au milieu d’une cour, on est surpris de se trouver nez à nez avec la charmante petite chapelle Sainte-Croix de Jérusalem ; prisonnière au sein des ailes massives d’édifices ultérieurs, elle survit comme seul vestige du premier hospice, fondé en 1204 par le duc de Bourgogne Eudes III qui le confia à l’Ordre du Saint-Esprit de Montpellier. Les écarts d’architecture semblent être l’écho des rivalités de pouvoir qui animèrent, dans ses murs, l’ensemble hospitalier.
L’histoire de l’apothicairerie en subit de plein fouet les conséquences. Elle peut d’ailleurs constituer un exemple emblématique des confrontations qui avaient lieu, de manière régulière, entre religieux et laïcs dans les lieux de soins et d’assistance aux malades et aux plus démunis à partir du XVIIe siècle. Le problème venait du fait que les religieuses n’étaient, pour la plupart, aucunement formées à la préparation des médicaments. Il était donc nécessaire qu’elles exercent sous la tutelle d’un apothicaire, forme d’ingérence qu’elles voyaient souvent d’un mauvais œil.
À Dijon, il semble qu’un premier service des médicaments ait existé dès le milieu du XVe siècle. Puis, au début du XVIe siècle, alors que l’hôpital s’agrandit, le roi François Ier chargea le maire de la ville d’instituer une Chambre des Pauvres, dirigée par des laïcs (magistrats et responsables municipaux), créée officiellement par arrêté du Parlement le 8 mars 1528.
À partir de cette époque, la question du rôle de l’apothicaire au sein de l’hôpital va être soulevée à plusieurs reprises. Il passe de simple fournisseur extérieur à responsable du contrôle des soins. Ainsi, un arrêté, en date du 14 juin 1570, oblige « les apothicaires de ville à nommer l’un d’entre eux pour aller, tour à tour, par mois ou par semaine, visiter et soulager les pauvres qui seraient en l’hôpital du Saint-Esprit dudit Dijon et continuer cet ordre pour l’avenir, aussi qu’ils eussent à donner en aumône de leurs drogues & compositions pour mettre en la boutique dudit hôpital ». Cette situation, mal acceptée des apothicaires qui se voyaient insuffisamment rétribués (ils étaient seulement dédommagés du prix des matières premières), créa rapidement des conflits entre les religieuses et l’autorité de la Chambre des Pauvres.
La construction du nouvel hôpital Notre-Dame de la Charité, devenu indispensable suite aux épidémies de peste et aux famines qui accablèrent la ville entre 1620 et 1640, allait donner un nouvel élan à l’activité pharmaceutique. Un espace de stockage fut aménagé en 1643, grâce aux dons en drogues, médicaments et ustensiles des filles de l’apothicaire Claude Pérard. Une véritable apothicairerie put alors fonctionner, les sœurs étant désormais formées par les seize apothicaires de la ville à la préparation des remèdes et à la culture des plantes médicinales. De son côté, l’hôpital agrandi s’enorgueillit d’un visage classicisant dû à l’architecte renommé de la région, Martin de Noinville, qui était alors en charge du Palais des États de Bourgogne et de la place Royale de Dijon. On est désormais loin de la modeste activité du premier hospice. L’ensemble prit le nom d’hôpital général en 1669. L’hôtel Sainte-Anne, destiné à l’accueil des orphelines, sera même créé à la fin du XVIIIe siècle. On imagine aisément combien l’activité de l’apothicairerie devait être intense. Mais, en 1648, tout pouvoir administratif fut retiré aux sœurs, qui furent accusées de dévoiler en ville les précieux secrets de l’art de la pharmacie ! La Sœur apothicaire fut même révoquée et les rivalités et mésententes se succédèrent. La situation était telle que, au début du XVIIIe siècle, on ne trouva aucun apothicaire acceptant de travailler à l’hôpital.
Aujourd’hui, l’apothicairerie du XVIIe siècle est toujours visible. La salle des assemblages et la salle de monstre sont toutes boisées. On sait que les pots, ornés de délicats décors floraux, proviennent d’une commande passée en 1741 par Alexis Piron, apothicaire à l’hôpital, au faïencier dijonnais Sigault « pour remplacer les pots en étain » (dont un seul subsiste encore). Les chevrettes, pots canons et piluliers, dont les cartouches ont la particularité de porter des inscriptions en français et non en latin, viennent s’ajuster à merveille au creux des boiseries et prennent une importance toute particulière lorsqu’on connaît les péripéties et vexations subies en ce lieu.
Patrimoine pharmaceutique classé et inscrit au titre des monuments historiques, l’apothicairerie pose une nouvelle fois question à l’heure actuelle, au sujet de sa conservation et de sa mise en valeur, puisqu’un repreneur devrait investir les lieux d’ici à deux ans, confient Adeline Rivière, assistante culturelle en charge du patrimoine, et Mélanie Matthey, chargée du développement culturel au CHU de Dijon, qui nous ont ouvert les portes. Conservation in situ ou déplacement de l’ensemble au musée de la vie bourguignonne Perrin de Puycousin (qui possède déjà des objets pharmaceutiques), en tout cas, l’apothicairerie de l’hôpital de Dijon continuera de raconter comment les malades étaient soignés, comment les sangsues furent élevées au XXe siècle, comment elle pratiqua la fabrication de l’eau alcaline et de la limonade et, surtout, comment le dévouement des sœurs s’accommoda finalement de l’importance grandissante du métier d’apothicaire.
Dans votre bibliothèque
« Deux par deux »
« Notre Santé est en jeu »
Quelles solutions face au déclin du système de santé ?
Dans votre bibliothèque
« Le Bureau des affaires occultes », ou les débuts de la police scientifique
USA : frites, bière, donuts gratuits… contre vaccin