LE PARCOURS de Nicolas Lémery ressemble singulièrement à celui de Moyse Charas*, de vingt-cinq ans son aîné. Tous deux étudièrent à Montpellier et montèrent à Paris pour créer leur officine. Tous deux se rendirent célèbres par leurs démonstrations de chimie au Jardin du Roi. Tous deux, protestants, durent fuir la capitale pour l’Angleterre, juste avant la révocation de l’édit de Nantes. Enfin, tous deux privilégièrent l’expérience à la théorie et un langage simple à celui, abscons, des prétendus grands scientifiques. À cette époque en effet, nombreux étaient ceux qui se targuaient d’une grande connaissance de la médecine et de la pharmacie et nombreux étaient les charlatans, dont Molière ou Voltaire se sont moqués. Le plus souvent, il valait donc mieux s’en remettre à Dieu plutôt qu’à l’apothicaire. Avec Nicolas Lémery, cependant, les choses allaient s’éclaircir.
Expériences insolites.
« Je tâche de me rendre intelligible. » C’est ainsi que Nicolas Lémery se décrit alors qu’une foule hétéroclite, allant du Grand Condé au pauvre bougre, assistait, émerveillée, à ses cours de chimie qu’il donnait dans son « Antre Magique », comme l’appelle Fontenelle dans son « Éloge à l’apothicaire », le sous-sol d’une boutique de la rue Galande à Paris, transformée en scène de théâtre des expériences les plus insolites. Un jour, par exemple, il créa un volcan artificiel, avec un mélange de soufre, de fer, d’eau et de terre, tentant par-là d’expliquer le phénomène volcanique auquel il portait une grande curiosité.
On venait à ses cours pour sa verve, donc, mais aussi pour les nombreux produits miracles qu’il vendait et qui firent le succès de son officine, en particulier les cristaux de Vénus ou le fameux magistère de bismuth, poudre blanche, aussi appelé blanc d’Espagne, qu’on s’appliquait sur le visage. Désormais célèbre, apothicaire du Grand Prévôt, ami de Bernardin Martin, l’apothicaire du Grand Condé qu’il accompagnait souvent à l’Hôtel de Condé ou au domaine de Chantilly, Nicolas Lémery publia en 1675 un des best-sellers du siècle, son « Cours de chymie » contenant la manière de faire les opérations en usage dans la médecine, par une méthode facile avec des raisonnements sur chaque opération, pour l’instruction de ceux qui veulent s’appliquer à cette science. Les mots « méthode », « raisonnements » et « science » annonçaient une nouvelle ère pour la pharmacie, l’ère d’un certain cartésianisme, faisant primer la raison pour accéder à la connaissance des choses de la nature.
Sulfureux apothicaire.
« Un peu de vrai était tellement dissous dans une grande quantité de faux, qu’il en était devenu invisible. » Cette phrase de Nicolas Lémery fait peut être référence à l’époque de son apprentissage chez Christophe Glaser, sulfureux apothicaire ordinaire du roi, dont les méthodes étaient, pour certaines, entachées d’une dangereuse obscurité. Il avait, en effet, été compromis dans la grande affaire des poisons ! Après ce scandale et après la querelle, entre les universités de Paris et de Montpellier sur l’antimoine, remède à base d’arsenic dont on ne savait s’il tuait ou guérissait, les esprits étaient perturbés et avaient besoin de clarté. L’intérêt pour les sciences était devenu très vif et Lémery arriva à point nommé. Enfin, la chimie était expliquée au peuple clairement !
Mais son succès grandissant fut brutalement interrompu par le climat de plus en plus lourd pour les protestants, qui seraient bientôt interdits d’exercer la profession d’apothicaire. Exilé avec sa famille en Angleterre, son retour en catimini, d’abord à Caen, où il exercera la médecine à l’université, puis à Paris, s’accompagnera d’une faillite morale, puis matérielle, pour ce grand scientifique qui trouvera de nombreuses portes fermées, excepté celles du marquis de Seignelay et de Lord Salisbury, qui assisteront, presqu’en cachette, au cours du Grand Lémery. En 1686, il décide d’abjurer sa foi, seul moyen de rentrer dans la faveur royale et d’obtenir la place qu’il méritait à l’Académie. Il se mit alors à écrire des ouvrages de référence dans le domaine de la pharmacie, tels la Pharmacopée universelle (1697), le Traité universel des drogues simple (1698), et le Traité de l’antimoine (1707). Enfin, il nous a laissé ses secrets d’apothicaire dans son Nouveau recueil des plus beaux secrets de médecine pour la guérison de toutes sortes de maladies, qui aiguisent aujourd’hui notre curiosité, avec humour…
Voici par exemple sa recette contre le mal caduc (l’épilepsie) : « Recette éprouvée et infaillible. Prenez un crâne d’homme si c’est pour un homme ; si c’est pour une femme, prenez celui d’une femme ; surtout que le crâne soit entier […] que vous mettez en poudre impalpable, à laquelle vous ajouterez racine de Paonia en poudre, une once, avec neuf grains de sa graine, et une dragme de gui de chêne le tout en poudre, dans une pinte de vin de Servagnac […] ; boire le tout en neuf matins, les neuf derniers jours de la lune. »
Informations
L’exposition Sciences et curiosités à la cour de Versailles au château de Versailles est encore visible jusqu’au 27 février 2011.
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