C’EST DANS LA VILLE voisine du camp, Oswiecim, que des ouvriers effectuant des travaux ont retrouvé de nombreux dossiers et documents concernant différents cadres du camp, dont les deux pharmaciens qui assurèrent successivement le fonctionnement de sa pharmacie, installée dans la partie du camp réservée aux SS. Celle-ci, selon les déportés qui furent forcés d’y travailler et qui témoignèrent après la guerre, était certes chargée d’acheter puis de préparer et distribuer les médicaments, essentiellement réservés aux civils et aux militaires allemands affectés au camp, mais elle stockait aussi les produits chimiques et pharmaceutiques nécessaires aux « expériences médicales » des médecins nazis. Elle distribuait de même le phénol qu’on injectait aux déportés pour les « euthanasier », ainsi que le Zyklon B, gaz mortel utilisé dans les chambres à gaz. Un journaliste polonais déporté a raconté, lors du procès de 21 cadres d’Auschwitz tenu à Francfort en 1964, qu’il était d’usage d’inscrire la mention « médicaments » sur les bons de commande adressés à la pharmacie par les SS chargés du fonctionnement des chambres à gaz.
Près d’un million de Juifs et plusieurs dizaines de milliers de Roms, ainsi que des déportés de toutes origines, ont été assassinés dans le camp, ouvert en 1940 et libéré par l’Armée rouge le 27 janvier 1945. Pendant ces cinq années, sa pharmacie aura connu deux « titulaires », dont le premier, Adolf Krömer, mourut d’une crise cardiaque en février 1944, comme viennent de le révéler les documents retrouvés. Son successeur est un peu mieux connu, car il fut jugé et condamné après la guerre. Celui-ci, Victor Capesius, était un Allemand de Transylvanie, titulaire avant la guerre d’une officine dans cette région de Hongrie devenue roumaine en 1920, mais dont les habitants d’origine allemande furent « rattachés » à l’Allemagne entre 1940 et 1944. D’abord officier roumain, puis incorporé dans la SS en 1943, il y prit très vite du galon. Il effectuera sa mission avec l’efficacité et le détachement glacial qui caractérise nombre d’exécutants des crimes nazis… non sans en profiter pour s’enrichir personnellement. Comme beaucoup d’autres, il tentera après la guerre de minimiser ses propres responsabilités. Brièvement interné en 1946, il parviendra à se faire oublier et achètera une officine dans la région de Stuttgart, avant d’être reconnu en 1959 par un ancien déporté qui le fera arrêter. Condamné lors du procès de Francfort à neuf ans de prison, il fut libéré en 1968, reprit ses activités professionnelles et mourut finalement en 1985.
Les documents retrouvés à Oswiecim, immédiatement transmis aux services historiques polonais compétents pour ces questions, devraient permettre de mieux cerner la personnalité et l’activité exacte des pharmaciens. Ils contribueront aussi à éclairer une période particulièrement sombre de l’histoire de la profession en Allemagne : si l’on connaît bien l’activité et les crimes, mais aussi la mentalité et les motivations des médecins nazis, le voile reste beaucoup plus épais sur le comportement des pharmaciens qui participèrent aux exterminations commises par le régime hitlérien.
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