PEINT EN 1927, le « Drugstore » d’Hopper appartient au musée des Beaux-arts de Boston. Il représente une officine du quartier de Greenwich-Village, à New York, dont les devantures éclairent deux rues plongées dans l’obscurité. Le tableau préfigure les vues nocturnes extérieures de bars et de restaurant qui assureront quelques années plus tard une célébrité mondiale à leur auteur. Cette modeste pharmacie a inspiré de nombreuses tentatives d’interprétation aux historiens de l’art, comme à ceux de la pharmacie. Outre la mention « prescription drugs », c’est-à-dire médicaments sur ordonnance, sa vitrine invite les passants à s’y fournir en laxatifs « Ex-Lax », du nom d’une grande marque de laxatifs vendus en OTC, d’ailleurs toujours leader aujourd’hui du marché américain. Pour la petite histoire, l’épouse de l’agent commercial d’Hopper estima que cette mention n’était pas du meilleur goût sur un tableau, et lui conseilla de la remplacer par un nom imaginaire. Hopper s’exécuta mais, lorsque le tableau fut vendu à un collectionneur de Boston, ce dernier demanda au peintre de remettre l’enseigne originale, réalisme oblige.
La devanture est décorée de deux vasques en verre coloré, une rouge et une verte, qui évoquent aussi bien des pastilles à sucer que des suppositoires… Certains critiques s’empressèrent de voir dans ce tableau une allusion à l’analité freudienne, théorie publiée quelques années avant la réalisation de l’œuvre, mais rien de sérieux n’étaye cette hypothèse. D’autres observateurs font remarquer que le tableau a été peint en pleine période de la prohibition, moment où seules les pharmacies pouvaient vendre de l’alcool : ce point de lumière dans la nuit déserte illustrerait aussi, selon eux, cet ultime espace de liberté dans l’obscurité de l’interdit.
Les voilages bleu et rouge qui masquent en partie les vitrines donnent à l’officine un côté naïf et suranné, mais que l’on peut trouver encore dans bien des pharmacies des deux côtés de l’Atlantique. Des historiens de New York ont tenté de localiser l’officine, située au numéro 184, à l’angle d’une rue par contre indéfinie. L’un d’entre eux affirme avoir retrouvé la boutique originale, non loin du domicile alors habité par Hopper, mais celle-ci serait actuellement une librairie.
Quoi qu’il en soit, la pharmacie de Hopper nous parle aussi des officines américaines d’autrefois. Alors majoritairement indépendantes, elles sont aujourd’hui essentiellement regroupées au sein de quelques grandes chaînes présentes dans tout le pays. Il y a longtemps que les pharmacies de quartier ne sont plus les seules à veiller, toutes lumières allumées, sur la tranquillité des habitants endormis. Poétique, mystérieuse et nostalgique, la pharmacie de Hopper est aussi une porte d’entrée vers un monde révolu… et une excellente raison de plus pour découvrir cette passionnante rétrospective de son œuvre.
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