NOMBREUX sont les articles scientifiques à la lecture desquels on découvre un pharmacien certes doué mais doublé d’un caractère égocentrique et jaloux, n’hésitant pas à écrire pamphlets et des satires sur ses confrères. Paul Dorveaux dira qu’un seul de ses ouvrages, « L’art du distillateur d’eaux-fortes » (1773), mérite d’être tiré de l’oubli. Et Léo-Gabriel Toraude, le célèbre pharmacien-historien qui écrivit les biographies de tous les plus grands de la profession, s’exprima sur Demachy, en 1907, sans concessions, mais excusant sa propension à la critique par une enfance incomprise. Non entièrement convaincu par cette approche, on se remet donc à lire ce qui s’est dit sur Demachy et on tente de comprendre son parcours. Il a tout de même son portrait aux murs de la salle des Actes de la faculté de pharmacie de Paris. C’est bien qu’il a dû inventer quelque chose.
Eh bien non ! Stupéfaction lorsqu’on se surprend à lire les mots « médiocre » et « méchanceté » à son encontre et qu’on apprend qu’il surnommait, dans une de ses fables, sa propre femme, Xanthippe, du nom de la femme de Socrate, réputée pour son caractère dur et acariâtre. Alors, quel fut réellement son rôle au XVIIIe siècle, à une époque où la pharmacie est en pleine évolution ? N’était-il qu’un persifleur jaloux ?
L’art d’enseigner.
Né à Paris, rue Galande, il commence son apprentissage d’apothicaire dans deux officines parisiennes, puis accède au grade de gagnant-maîtrise à l’Hôtel-Dieu. Il ouvre son officine, rue du Bac, et commence à y donner des cours de chimie et d’histoire naturelle qui obtiennent vite un grand succès. Jusque-là son parcours est comparable à beaucoup de ses confrères. Ce qui va le différencier, c’est sa faconde et son art d’enseigner. À tel point qu’il obtient le poste de démonstrateur d’histoire naturelle au nouveau Collège de pharmacie, tout juste créé par Louis XVI, en 1777, (qui remplace la Compagnie des Apothicaires). Il l’occupera pendant vingt-cinq ans, reprenant en quelque sorte le flambeau des démonstrateurs précédents qui captivèrent leur public au Jardin des Apothicaires, rue de l’Arbalète, ou au Jardin du Roi. On peut considérer qu’il occupa la première chaire de matière médicale de la faculté de pharmacie. C’est à ce moment qu’on comprend que Jacques-François Demachy entre dans l’histoire de la pharmacie. Il fut probablement fier de pouvoir faire comme son premier grand maître, Guillaume-François Rouelle. Alors qu’il était adolescent et solitaire, il venait l’écouter de longues heures au Jardin du Roi.
Cependant, cette réussite ne lui suffit pas. Il veut plus. Son rêve est d’entrer à l’Académie des Sciences. Mais le monde scientifique est en pleine évolution à cette époque. On découvre de nouveaux métaux, tels le nickel et le tungstène. On s’interroge sur les procédés de combustions et sur la calcination de la chaux. Demachy va se trouver du mauvais côté. Il sera en effet de ceux qui croient toujours à la théorie du phlogistique dégagée par deux scientifiques allemands à la fin du XVIIe siècle, Becker et Stahl. Elle expliquait le phénomène de combustion en postulant que les minéraux renfermaient tous une terre inflammable, appelée le phlogistique, qui se dégageait sous forme de flamme si le corps était chauffé. Cette théorie fit beaucoup d’émules. Mais elle sera bientôt abandonnée par certains chimistes et pharmaciens, qu’on appelle à l’époque les pneumatistes (ceux qui travaillent sur la chimie des gaz), emmenés par Lavoisier qui découvre l’oxygène et peut expliquer à son tour la combustion.
Des écrits croustillants.
Plus les théories nouvelles prennent de l’importance, plus Jacques-François Demachy se trouve solitaire dans sa vie professionnelle, mais aussi personnelle. Il exprima sa colère et sa désillusion, accentuées par le fait qu’il ne put jamais obtenir de fauteuil à l’Académie des Sciences. Il tentera quand même de trouver son compte dans des travaux que l’Académie lui confia et il écrira en préambule de ses « Dissertations physiques et chimiques » ces quelques mots, tentant de se satisfaire : « Sans avoir encore l’avantage d’appartenir à l’Académie des Sciences de Paris, j’ai du moins eu celui de concourir à ses travaux, de manière à voir que mes Mémoires n’étaient pas entièrement dédaignés par cette Société. »
Il semble aujourd’hui qu’il soit plus connu pour son œuvre critique et poétique que pour son travail de pharmacien. Il aurait sûrement souhaité le contraire. S’il occupa des postes à responsabilité comme celui de pharmacien en chef à l’hôpital de Saint-Denis et à l’Hôtel-Dieu, et s’il écrivit le « tout premier traité de chimie industrielle publié en France », selon les termes de Dorveaux, ce sont plus ces quelques vers sur son contemporain Antoine Baumé (au sujet du portrait illustrant sa Chimie expérimentale, publié chez Didot) qu’on retiendra de lui :
« Que veut dire cette figure ?
Ris sardonien, col de travers,
Maintien cafard, coup d’œil pervers !
Est-ce un hommage, est-ce une injure ?
Pour te garer, ami Lecteur,
Du ton d’impudence et d’erreur,
Dont est écrit ce gros ouvrage,
Didot a mis, en homme sage,
Au-devant du recueil le Portrait de l’Auteur. »
De persifleur, il devint censeur royal, pour juger des ouvrages de physique, chimie et histoire naturelle. On peut penser qu’il y excella et, en tant que revanchard sur la vie, qu’il y prit un certain plaisir. Éternel insatisfait, il réussit tout de même une belle carrière en étant élu Prévost du Collège de Pharmacie, en 1781, et en nous laissant, pour notre bonheur, de nombreux écrits croustillants.
On conclura en notant que sa plume efficace donna naissance aux « Nouveaux dialogues des morts » (1755), au contenu philosophique, où il fait l’éloge des vertus, telle la tempérance. Par ces écrits, il recherchait peut-être la paix de son âme. L’emporta-t-il au Paradis ? Rien n’est moins sûr.
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