EN 1987, au journal télévisé de TF1, Isabelle Adjani vient en direct démentir la rumeur la disant morte du SIDA. Qui n'a pas en mémoire cette prestation incongrue de l'actrice, obligée de se montrer vivante ? Mais le remède sera pire que le mal. Une main posée sur sa joue, pendant toute la séquence, fera croire que l'actrice cache une tâche. Et puis ce démenti sera une formidable caisse de résonance pour la rumeur. Les Français informés de la nouvelle passeront de 15 à près de 50 millions. Ceux qui vont adhérer aux ouïes dires sur Adjani ne seront plus 3,5 millions, mais 13 millions…
Ainsi en est-il de la rumeur, qui n'épargne pas le champ de la santé, même si ces deux termes paraissent antinomiques. On parle plus volontiers de rumeur politique, boursière ou médiatique. Mais la santé est un sujet social transversal, vecteur d'audience et de spectaculaire, aujourd'hui relayé sur Internet. « Des controverses sont médiatisées en temps réel, sans distance ni suivi. Des sujets complexes, avec de forts enjeux politiques et industriels, sont simplifiés à l'extrême », constate le Dr Jean-Luc Gallais, médecin généraliste et directeur du conseil scientifique de la SFMG (Société française de médecine générale).
Doute et angoisse.
Lors d’une conférence à Pharmagora, le Dr Gallais est revenu sur la rumeur reliant l'usage d'antitranspirants et le risque de cancer du sein. Avec lui, l'oncologue Élisabeth Luporsi a rappelé la chronologie de cette mise en cause des sels d'aluminium. « Tout est parti de la diffusion d'un mail frauduleusement signé du Pr Casanova Larrosa, qui a ensuite démenti en être l'auteur, explique t-elle. La rumeur a été confortée par plusieurs études, dont la méthodologie peu rigoureuse et l'interprétation ont été largement contestées par la communauté scientifique internationale. »
Mais le doute et l'angoisse ont prévalu pour des milliers de femmes, craignant, en se rasant les aisselles, de se blesser et de s'intoxiquer. Il y a deux ans, un groupe d'experts en cancérologie s'est penché sur le sujet. Une soixantaine de publications ont été examinées, dont une dizaine de façon approfondie. Le lien de causalité entre l'utilisation d'antitranspirants et le cancer du sein n'existe pas. « Il n'y a pas d'effet estrogénique significatif pour les sels d’aluminium », souligne Élisabeth Luporsi. L'AFSSAPS a confirmé l'innocuité des sels d'aluminium contenus dans les déodorants et les antitranspirants.
Malgré son effet délétère, cette fausse information aura au moins rappelé l'intérêt du dépistage du cancer du sein. « La rumeur en santé est l’opportunité d’exprimer des préoccupations et des inquiétudes qui dépassent largement le thème évoqué », assure le Dr Jean-Luc Gallais.
Des comptes à rendre.
Pour lui, les rumeurs soulignent les limites du savoir et de la décision médicale. « Le plus souvent, les professionnels de santé ne disposent pas d'éléments actualisés et de réponses certaines », indique t-il. Si la science n'est pas en mesure de se prononcer, le citoyen y voit un risque que l’on ne peut écarter. En conséquence, le Dr Gallais recommande d'écouter et d'analyser les propos du patient, selon ce qu'on connaît de lui et de son parcours. « Une rumeur énoncée à l'officine peut être l'expression d’un symptôme, d'une souffrance qui demande attention, considération et soulagement », estime le Dr Gallais.
Officinal et président délégué de l'USPO (Union des syndicats de pharmaciens d'officine), Gilles Bonnefond livre son expérience du comptoir : « Il faut demander à la personne ce qui lui fait dire cela. Si besoin, faites-lui une réponse différée pour vérifier ce qu'il en est exactement. » En tout cas, le pharmacien ne doit ni confirmer, ni infirmer une information douteuse. « Il doit rester à sa place, faire preuve d'esprit critique et ne pas entretenir la rumeur quand il n'a pas les éléments scientifiques pour trancher », rappelle le représentant syndical. Gilles Bonnefond demande que ceux qui lancent des rumeurs rendent des comptes. Il prend pour exemple la récente controverse sur les génériques d'antiépileptiques. Une rumeur les accusait de provoquer des récidives de crise d'épilepsie. « Bizarrement, cette polémique n'existe pas aux États-Unis, où les patients paient leurs médicaments », constate simplement le représentant de l'USPO.
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