Compagnons de la Libération, intégrés au Service de santé des armées, le docteur en pharmacie Roger Coquoin et le pharmacien lieutenant Jacques Menestrey se sont démarqués par leur courage sans faille et leur soutien de la première heure à la France Libre. Le premier n’en réchappera pas. Touché à mort par la Gestapo en décembre 1943, il sera transféré à la Pitié-Salpêtrière avant que son corps ne disparaisse, jamais retrouvé. Le second aura plus de chance. Sortant en vie de la guerre, il ouvrira une officine à Tananarive (Madagascar) et décédera en 1997. Tous deux, leur métier chevillé au corps, s’illustrèrent par leur bravoure et leur engagement ferme dans la résistance et sous le feu de l’ennemi.
Mobilisé en 1939, Roger Coquoin sera blessé lors de la bataille de la Somme
Roger Coquoin (né à Gagny en 1897) était fils de pharmacien et devint chef du laboratoire de l’Hôtel-Dieu puis chef du laboratoire de chimie de l’Académie de médecine qui servira de QG clandestin pendant la Deuxième Guerre mondiale, où se retrouveront les résistants de « Ceux de la Libération », mouvement dont il prit la tête en 1943 et qu’il représenta au sein du Conseil national de la Résistance dirigé par Jean Moulin. Mais avant cela, en 1914, alors qu’il n’a que 17 ans, il connaît déjà les affres de la guerre, à la bataille de Verdun, où il est atteint par une attaque au gaz en 1918. Cela n’entamera pas sa force d’engagement.
Sous l’alias de « François Lenormand », il met à profit son savoir en mettant au point des détonateurs et des pastilles abrasives, destinés au sabotage
S’il est mobilisé en 1939 et blessé lors de la bataille de la Somme, de retour dans son laboratoire, il ne supporte pas la défaite française de 1940. Il décide alors, avec son camarade le pharmacien Yves Chabrol, d’organiser des groupes de résistants en Bourgogne, dans l'Aube et dans l'Eure. Cette force d’engagement finira de se décupler lors de sa rencontre, en janvier 1941, avec le grand héros de la résistance Honoré d’Estienne d’Orves. Roger Coquoin devient alors une trame importante de la résistance française, fournissant des informations à Londres sur l’armée d’occupation et organisant, aux côtés de Maurice Ripoche, fondateur de « Ceux de la Libération », l’extension du réseau de la lutte.
Abattu par la Gestapo en décembre 1943
Il officie désormais sous l’alias « François Lenormand », au péril de sa vie, alors que dans l’ombre de son laboratoire, il met à profit son savoir en mettant au point des détonateurs et des pastilles abrasives (du carborandum englobé dans de la paraffine), destinés à saboter les moteurs des camions allemands. Très actif, en contact régulier avec Jean Moulin et Pierre Brossolette, c’est lui qui reçoit le commandement d’une partie de l'Armée secrète créée en zone Nord et il aurait également participé à la création du Service de santé de la Résistance aux côtés du médecin Pasteur Vallery-Radot, petit-fils de Louis Pasteur. Mais lorsque la Gestapo perquisitionne son laboratoire, il doit fuir, se réfugie chez une de ses relations mais tombe dans un guet-apens : la Gestapo l’attend et le touche mortellement de deux balles à 9 h 30, le 29 décembre 1943.
Répondant à l’appel du 18 juin Jacques Menestrey s’engage dans les Forces françaises libres
Jacques Menestrey (né à Paris en 1914) eut un destin différent. Mobilisé en 1939 alors qu’il n’est encore qu’étudiant à la Faculté de Pharmacie de Paris, il répond positivement à l’appel du 18 juin et s’engage dans les Forces françaises libres. Ensuite, promu pharmacien-auxiliaire, il passera presque la totalité de la guerre sur les fronts africains, à Dakar, avec le groupement d’Ambulances puis lors de la campagne du Gabon.
Il s’illustrera aussi lors des campagnes de Syrie, d’Égypte et de Libye, en particulier au sein de la bataille de Bir-Hakeim en 1942. Il est alors chef du Service pharmaceutique de Ravitaillement, ainsi qu’aide-opératoire et bactériologiste au sein de l'Ambulance chirurgicale légère de la 1re Division française libre. Et quand il débarque à Cavalaire en août 1944 pour entamer la campagne de France, il fait preuve d’un sang-froid exceptionnel en amenant ses ambulances jusque sous le feu de l’ennemi.
Pareillement, le 8 octobre 1944, il évacuera des blessés graves avec sa jeep jusqu’à des emplacements avancés et particulièrement dangereux.
Morphine et sulfamides à hautes doses
Ces deux parcours montrent combien les pharmaciens ont pu être courageux durant la guerre et combien leur métier fut d’une importance majeure dans le déroulé des conflits et la prise en charge des soldats. C’est notamment dans le contexte de la Deuxième Guerre mondiale que la morphine et les sulfamides sont utilisés à haute dose sur le front. Aucun choix possible, elles doivent impérativement être parfaitement conditionnées. La première est utilisée avec une syrette, dispositif d’injection intramusculaire constituée d’une ampoule de papier métallisée montée sur une aiguille, les secondes sont fournies en comprimés et en sachet. Les antibiotiques sont nouveaux dans un tel contexte et la pénicilline, découverte 12 ans plus tôt, n’est véritablement utilisée qu’à partir de 1941, rapidement classée prioritaire dans les ordres de ravitaillement, ce qui a permis de sauver de nombreuses vies et de limiter les amputations.
On sait aussi que lors de la Bataille de Normandie, des camions réfrigérés transportaient du plasma afin de faciliter les transfusions rapides sur le terrain. Pour exemple, les GI débarquant sur les plages de Normandie étaient suivis par des frigos remplis de plasma, logistique possible grâce à des centaines de milliers de dons de sang qui avaient été effectués à New York et Londres afin de pouvoir être transfusés une semaine plus tard aux soldats du Débarquement. Il s’agit bien de la plus grande opération de transfusion sanguine de l'Histoire qui permit à 9 combattants transfusés sur 10 d’être sauvés. C’est l’opération « Overlord » qui donna lieu au documentaire L’or rouge, la bataille du sang sorti en 2015.
La pharmacie victime de la guerre
Mais en dehors du front, la pharmacie doit aussi s’organiser. Les laboratoires n’ont d’autre choix que de fuir la zone occupée pour s’installer dans le sud de la France alors que le chiffre d’affaires des grandes industries du secteur chute de 15 %. Cette spirale est favorisée par l’impossibilité d’exportation, des interdictions ou confiscations de l’occupant et un manque cruel de main-d’œuvre. La pénurie des matières premières et le manque d’électricité, de gaz, d’essence et de charbon finissent de sonner le glas de bon nombre d’activités. Les pharmaciens sont touchés de plein fouet. Quinquina, lactose, amidon, camphre, ipéca, coca, baume du Pérou, séné, ergot de seigle, caféine… autant de produits essentiels à la confection des médicaments font défaut, malgré les efforts du Comité d'organisation des industries et du commerce de produits pharmaceutiques (COPP) instauré en 1941.
Par ailleurs, le verre, le carton et le papier, principaux contenants indispensables, tentent d’être contingentés. Ainsi, la période voit le mercurochrome remplacer la teinture d'iode, la fécule de pomme de terre se substituer à l'amidon, le kaolin remplacer le bismuth, le polymère de l'oxyde d'éthylène en lieu et place du beurre de cacao pour les suppositoires. Il faut se débrouiller avec ce qu’on a ! En outre, l’insuline pour diabétiques est rationnée au même titre que le coton et l’iode.
Dans ce contexte, la pharmacie ne pourra se remettre de ses émotions et difficultés qu’au sortir de la guerre, qui voit notamment la création de l’Ordre national des pharmaciens. Arrivera le temps de la mémoire de tous les pharmaciens d’officine ayant œuvré à leur manière à la défense de la France et au secours des blessés au péril de leur vie, et il y en eut beaucoup.
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