DEPUIS 2002, l’Hôtel-Dieu de Carpentras ne remplit plus ses fonctions d’hôpital. Cet immense bâtiment de plus de 7 000 mètres carrés est devenu une curiosité touristique qui attend sa réhabilitation future (prévue à l’horizon 2020) en centre culturel qui pourrait accueillir le musée Comtadin-Duplessis, le musée lapidaire et la bibliothèque Inguimbertine, trois atouts culturels de la capitale du Comtat Venaissin. Grâce à leurs grands espaces, les anciens hôtels-Dieu sont aujourd’hui de plus en plus réutilisés en espace d’exposition (comme au Puy-en-Velay) ou bien même en hôtel de luxe (exemple récent à Marseille). Dans le cas de Carpentras, le projet semble respectueux de la valeur patrimoniale de l’édifice. L’intérieur sera intégralement réaménagé et la salle de l’apothicairerie sera vraisemblablement préservée en l’état et intégrée au parcours de visite.
La beauté de l’art comme thérapie.
On peut se réjouir que ce rare témoignage de l’activité pharmaceutique du XVIIIe siècle soit conservé à son emplacement d’origine, celui des années 1750, à l’époque où le puissant évêque de Carpentras, Monseigneur d’Inguimbert, décide de la construction d’un hôtel-Dieu destiné aux pauvres, en remplacement du vieil hospice du centre-ville. Un plan moderne pour l’époque, à l’extérieur de la ville, pensé par l’architecte Antoine d’Allemand. Les salles des malades sont larges et les plafonds hauts. L’air doit circuler pour évacuer les miasmes emportés par le souffle rapide du mistral et pour faire oublier les morts de la peste du début du siècle. Au centre, l’escalier d’honneur défie les lois de l’architecture avec ses lignes fluides et ses deux volées suspendues.
L’évêque, qui fut pendant de longues années pensionnaire romain, veut apposer la marque du goût italien dans la pierre. Ainsi, lorsqu’il revient dans sa ville natale avec une fortune bien établie, il souhaite avant tout l’embellir. Son amour de l’art et son ambition émanent de la grandeur de l’architecture. Son vœu : « soigner les pauvres avec le progrès de la science et la beauté de l’art. » Il y parvient. Un tour pour enfants abandonnés (miraculeusement toujours en place), deux boîtes aux lettres pour les dons sur la façade principale, de nombreux lits pour les malades et des sœurs infirmières augustines pour gérer l’activité de l’hôpital, le tout dans le souci de l’hygiène.
Des singes apothicaires.
Les 178 tiroirs en bois de l’apothicairerie regorgent de plantes traditionnelles et de remèdes plus exotiques. Les boiseries peintes au goût du XVIIIe siècle, entre petits paysages rousseauistes et scènes de genre à la mode, témoignent d’un certain raffinement. À la fois lieu de soin et lieu de monstration où tous les apothicaires de la région venaient s’approvisionner, Carpentras affichait ici sa renommée. Sur les placards, quatre petits panneaux peints en ocre brun ne sont pas anodins. Il s’agit de quatre scènes représentant respectivement l’intérieur d’une officine, un lavement de pieds, l’utilisation du clystère et un dentiste à l’œuvre. Chacune de ces scènes est peinte dans le style des singeries si prisées sous Louis XV, notamment avec les peintres Watteau, Chardin et Huet. Ici, elles sont probablement l’œuvre du peintre et ornemaniste du Roi, natif du Comtat Venaissin, Alexis Peyrotte.
C’est dans cette ambiance, entourées de ces petits « singes apothicaires » que les quatre sœurs de la Miséricorde préparaient les remèdes après s’être approvisionnées à la foire de Beaucaire. Les sucres, les fleurs, les racines, les minéraux, les matières animales et les plantes sont rangées par catégorie.
Remèdes exotiques.
On remarque les remèdes exotiques venus du Nouveau Monde, le quinquina du Pérou, l’ipécacuanha du Brésil et le bois de gaïac d’Amérique. On trouve aussi des substances plus mystérieuses comme de la rasure d’ivoire (utilisée pour la coagulation du sang), du sang-de-dragon (antidouleur et cicatrisant), des trochisques de vipère (pâte médicamenteuse en forme de cône), des yeux d’écrevisses (contre les maux d’estomac), et même de la momie (considérée comme un remède miracle fortifiant) et de la cantharide, appelée aussi « mouche espagnole » (aphrodisiaque connu pour avoir été utilisé par le marquis de Sade…). Il y en a tellement qu’on imagine l’importance de cette pharmacie à l’époque.
Les pots à pharmacie, de différentes formes et de diverses provenances, complètent l’ensemble. D’Italie, d’Espagne, de Nîmes, de Marseille (trois magnifiques pots de monstre)… Ils côtoient 146 petites fioles d’essences rares ou dangereuses gardées dans une armoire au centre de la boutique. La visite est encyclopédique. L’apothicairerie est la même depuis 1768, avec son comptoir et ses bancs de bois. De quoi faire marcher l’imagination des plus passionnés.
« Herbis non verbis fiunt medicamina vitae » : ce sont les plantes et non les discours qui soignent. La phrase en latin est inscrite en haut des étagères. L’apothicairerie de Carpentras, au pied du Mont Ventoux, est une des rares apothicaireries encore visibles du sud-est de la France. Elle était précédée d’une cuisine et d’un lavoir encore partiellement visibles. Dehors, à l’emplacement de l’actuel parking, il y avait le jardin de plantes médicinales. Il sentait bon les plantes de terre provençale, la lavande, le thym et le romarin.
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