C’est une pharmacie familiale historique, comme il en existait tant autrefois. Elle était située rue Pannessac au Puy-en-Velay.
« Merci Jacques de l’avoir sauvée. » Les yeux brillants d’émotion, François Chambonnet s’adresse à Jacques Gravé, président de l’association Sauvegarde du patrimoine pharmaceutique. Il caresse affectueusement ses chères boiseries, se glisse derrière le comptoir, son comptoir, derrière lequel il officia tant d’années (jusqu’en 2010), à la suite de son grand-père, Antonin Merle, et de sa mère, Alice. « Mon grand-père avait acheté cette boiserie en 1900. À la fin de ma carrière, un ébéniste est entré dans la pharmacie et s’est mis à l’admirer, me disant que ce chêne massif provenait sûrement de la forêt de Tronçais. Les plus beaux chênes de France, vous vous rendez compte ! Mais le nouveau propriétaire ne voulait pas garder ce mobilier ancien », relate François Chambonnet en expliquant que la survie de sa pharmacie n’est due qu’à l’action de l’association qui l’a rachetée aux enchères à Drouot en 2011 pour environ 17 000 €. Cela correspond en majorité à deux ans de cotisations des membres, selon Jacques Gravé qui raconte l’histoire de ce sauvetage à rebondissements : « Une première fois aux enchères, elle a bien failli nous échapper car un enchérisseur, pharmacien au Caire, souhaitait l’ensemble. Finalement, il n’a pris que les pots, les boiseries étant trop compliquées à démonter et transporter. Lors d’un deuxième passage aux enchères, nous avons donc pu l’acquérir. À cette époque, l’Ordre soutenait l’action de notre association, mais Isabelle Adenot m’a bien fait comprendre qu’elle ne voulait pas de ces boiseries qui n’ont donc pas été intégrées au fonds de dotation de l’Ordre. »
Un musée national de la Pharmacie ?
Créée en 1995, l’association reçoit pendant plusieurs années des subsides de l’Ordre afin de constituer une collection. Plus de 2 000 objets estimés à près de 450 000 € sont ainsi rassemblés. En 2013, l’ensemble est donné par l’association au nouveau fonds de dotation de l’Ordre créé pour conserver les collections d’histoire de la pharmacie et les rendre inaliénables. Là encore, l’objectif espéré, à long terme, serait un musée national de la Pharmacie, labellisé « Musée de France ». Mais le siège de l’Ordre est trop petit pour montrer cette collection au public. Quel autre endroit alors ? Un lieu emblématique, une volonté politique et le soutien de la communauté pharmaceutique sont trois ingrédients difficiles à réunir. Et encore, qu’entend-on réellement par « musée de la pharmacie » ? Interrogée à ce sujet, Dominique Kassel, responsable des collections du fonds de dotation de l’Ordre, reste prudente : un musée, oui, pourquoi pas, mais « il faut un concept moderne et non du siècle passé, cela pourrait être une fondation par exemple, ou une Cité du médicament, un projet d’ailleurs de l’université de Paris-Descartes qui n’a pas encore vu le jour. »
À l’heure où des collections de pots ou d’anciennes apothicaireries sont mises en caisse, au grand dam de tous les défenseurs de ce patrimoine, le geste de la mairie de Baugé semble donc à contre-courant. « Je suis très attaché au patrimoine. C’est pourquoi j’avais rouvert à la visite l’apothicairerie du XVIIe siècle quand j’étais 1er adjoint », confie Philippe Chalopin, maire de Baugé-en-Anjou, avant de déclarer que « l’idée de créer un musée de la Pharmacie nous a effleurés. Ce n’est peut-être pas perdu ». Une idée qui fera peut-être son chemin quand on sait que 50 000 € de travaux plus tard pour l’aménagement d’un espace, la belle pharmacie d’officine dialogue à merveille avec sa grande sœur hospitalière, conservée ici depuis 1670. « Ça donne plus de visibilité à notre hôtel-Dieu et l’on a déjà un parcours muséal des soins du corps aux soins des âmes », poursuit Philippe Chalopin qui se félicite de cette nouvelle arrivée. Et dans l’hôtel-Dieu, c’est peu de dire qu’il y a encore de la place car seuls 1 000 m2 sont ouverts à la visite sur les 7 000 m2 qu’il recouvre.
Un petit miracle
L’histoire de la pharmacie Merle s’apparente donc à un petit miracle dont profiteront les 12 000 visiteurs qui arpentent chaque année le château et l’hôtel-Dieu de Baugé. Ce 5 avril, plus de 50 membres de l’association Sauvegarde du Patrimoine pharmaceutique ont fait le déplacement pour la découvrir. Il manque encore quelques cartels pour que la visite soit complète. Érigé au milieu du XVIIe siècle grâce à la détermination de deux femmes, Marthe de la Beausse et Anne de Melun, soutenues par les Religieuses hospitalières de Saint-Joseph, l’hôpital a fonctionné jusqu’en 2001 avant d’être racheté pour une somme symbolique par la commune.
La pièce la plus remarquable est l’apothicairerie du XVIIe siècle, conservée à son emplacement d’origine et classée au titre des Monuments Historiques. « Elle a fonctionné jusque dans les années 1960 alors même qu’elle était déjà ouverte à la visite », explique Yoan Olivier, assistant de direction à la commune. Elle comprend 600 objets classés parmi lesquels 150 silènes exceptionnels, grandes boîtes en bois peints qui conservaient autrefois les plantes séchées, et un ensemble magnifique de pots en faïence et en verre soufflé. On reconnaît la faïence de Nevers, bleue et blanche, et celle, plus ancienne de Lyon, d’inspiration italienne aux couleurs vives des majoliques. On aperçoit même, seul en son genre, un Albarello de type hispano-mauresque, dont le motif décoratif est typique des productions espagnoles de Manisès.
Délicieux mirage
Peu éclairées, dans leur jus, les boiseries garnies de pots, offrent un cadre chaleureux qui garde le souvenir des sœurs apothicaires parties, pour les dernières, en 1992. Une petite porte donnait sur la tisanerie, une autre sur les cuisines. Aux faïences de la Renaissance répondent aujourd’hui les porcelaines et les verreries du XIXe siècle qui ornent fièrement la pharmacie Merle (des pots provenant de l’association et d’un collectionneur privé). « Il ne manque plus qu’une apothicairerie du XVIIIe siècle pour que le parcours soit complet ! », lancent plusieurs membres de l’association. Le maire, lui aussi, n’est pas contre accueillir des dons pharmaceutiques pour enrichir son parcours qui est actuellement comblé par une belle exposition sur « L’art des potiers d’étains au service de la santé » organisée par l’association Sauvegarde du patrimoine pharmaceutique et comprenant des prêts du fonds de dotation de l’Ordre.
Jacques Gravé est aujourd’hui soulagé : « Il a fallu des années opiniâtres pour la sauver. » Ses efforts ont payé. La restauration par un ébéniste du Puy, puis le transport de la pharmacie Merle jusqu’à Baugé, son refuge. Il espère que cette action puisse être la première pierre d’une plus grande aventure. « Maintenant, il faut aller plus loin ! » s’exprime Pierre David, un des membres bienfaiteurs à la réhabilitation de la pharmacie. Ils avaient tous les yeux brillants ce 5 avril devant ces deux pharmacies historiques aux atours splendides. Une partie de l’histoire de leur profession est bien là, au chaud, sauvegardée. Presque un musée, délicieux mirage.
À voir, l’exposition « L’art des potiers d’étains au service de la santé » dans l’hôtel-Dieu de Baugé-en-Anjou, du 7 avril au 30 septembre 2018. www.patrimoine-pharmaceutique.org www.chateau-bauge.fr
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