Boldoflorine, Saliflorine, Tisane Sanifer, Tisane Hépato, Thé de Vénus, Tisane des Chartreux de Durbon, Thé mexicain du Dr Jawas…, tous préparés et vendus en pharmacie avec leur formule, leur dosage et leur prescription. Aujourd’hui, dans l’inconscient collectif, la tisane n’est pas à proprement parler un médicament. Le regain de passion pour la phytothérapie en fait cependant une boisson appréciée par un Français sur deux qui en consommerait régulièrement. Le réflexe de la boisson chaude réconfortante au tilleul ou à la camomille avant de se coucher est tendance.
Les tisanes ont indéniablement des vertus thérapeutiques mais ne leur en attribue-t-on pas un peu trop parfois ? Elles furent en tout cas longtemps les boissons ordinaires des malades pour leur réchauffer le cœur et l’esprit. Souvent, il n’y avait pas beaucoup mieux… Facile à préparer, non agressive, la tisane s’apparente au mieux-être de celui qui souffre. Censées guérir la migraine, les constipations, les douleurs d’estomac, les maladies de peau ou encore les problèmes au foie, les tisanes sont tour à tour laxatives, dépuratives, digestives, selon leur constitution et la dose qu’on prend. Elles étaient aussi censées être agréables au goût pour que le malade y revienne souvent sans rechigner.
Si l’on fait un peu d’histoire, son nom d’origine grecque signifie « orge broyé » et sa prescription remonterait à Hippocrate. Par la suite, son succès ne se démentira pas, vanté par plusieurs grands apothicaires comme Nicolas Lémery qui cite dans sa Pharmacopée de 1766 la tisane apéritive, à base de chiendent, fraisier et althaea, et la tisane astringente, à base d’orge, de corne de cerf, de racine de tormentille et de fruits d’épine-vinette. Tous s’accordent à dire que les tisanes sont pauvres en principes actifs mais ne peuvent être négligées. Ainsi la Pharmacopée française de Dorvault en 1945 ira jusqu’à en dénombrer environ soixante-dix. Une des plus réputées, la tisane de Feltz, inventée par le premier médecin et bourgmestre de Schlestadt, promettait de guérir les maladies vénériennes les plus coriaces en 24 jours ! Autant dire que le succès ne se fit pas attendre, d’autant plus que le remède se vantait de ne pas contenir de mercure.
« Affreuse boisson »
Au XIXe siècle, certains médecins tirent la sonnette d’alarme pour circonscrire les effets des tisanes qui n’ont pas vocation à soulager tous les maux. Ainsi, le médecin Adolphe Burggraeve parle « d’affreuse boisson » que le malade est obligé de prendre à toutes les sauces : « Il y en a de fades, d’amères, de sucrées, d’épaisses, de gluantes. En vain, les yeux et l’estomac se révoltent, l’ordre est précis. Nous faisions cette remarque sur nous-même, ces jours derniers, alors que pour calmer des accès de dysurie, nous nous étions mis en tête de prendre une de ces décoctions que l’on décore du nom de « Boisson de Mai », parce qu’on les fait avec les premières plantes et racines. » À cette époque, en effet, les noms flatteurs des tisanes fleurissent. Burggraeve, moqueur, continuant sa critique, n’hésite pas non plus à dénoncer le « luxe des tisaneries » d’hôpitaux qui regorgent « d’innombrables bouteilles », militant par la même occasion pour ce qu’il appelle les « médicaments dosimétriques » (qui eurent par ailleurs beaucoup de détracteurs). Les tisanes n’arrêtèrent pas pour autant leur envolée et devinrent, pour certaines, de véritables marques. Une des plus célèbres, la Boldoflorine, fut, par la grâce de la publicité, une des médications familiales les plus populaires dans les années 1930. Et voilà qu’elles deviennent le compagnon rassurant de chaque maisonnée promettant de faire maigrir et d’éclaircir le teint.
La petite déambulation virtuelle dans la banque d’images de la BIU Santé nous confirme que, à l’époque, les boîtes de médicaments étaient bien jolies. Elle nous instruit et nous amuse aussi lorsqu’on tombe par exemple sur le « Thé Purgatif de Montmiral » qui, entre autres, « chasse les vapeurs aux femmes nerveuses », ou sur la Tisane laxative de la Sœur Bonnefoy de saint Vincent-de-Paul à Avignon qui guérit « toutes les maladies des vices du sang ». La tisane d’Auvergne, elle, est « vivement conseillée aux chanteurs, prédicateurs et professeurs », tandis que la tisane Antigrès au nom évocateur nous fait sourire. Un peu plus loin, la tisane Genurine, diurétique active, semble avoir tout pouvoir sur la goutte néphrité, la gravelle et l’urémie, outre qu’elle « conserve la jeunesse en faisant disparaître les poches aux yeux, le gros ventre, les bouffissures de la face et des jambes » ! Et que dire du Dépuratif de l’abbé Dubray dont nombre de témoignages vantent les mérites, tel celui-ci, venu de Lille et daté de 1935 : « Monsieur, veuillez m’envoyer une bouteille de dépuratif de l’abbé Dubray pour des clous. Depuis que ma femme a bu votre bouteille, ses clous ont bien disparu ». Auréolées de mille et une vertus, les tisanes semblent ainsi pouvoir soigner à la fois l’eczéma et les troubles du foie, les hémorroïdes et les fistules, les migraines et les constipations opiniâtres.
Aujourd’hui encore peu de pharmaciens sont spécialisés dans la phytothérapie ; or ils sont les seuls à pouvoir préparer et vendre des mélanges de plantes médicinales. Trouver de véritables tisanes à l’action thérapeutique, accompagné d’un conseil médical, n’est donc pas si aisé. Le pharmacien « herboriste » doit-il s’inventer, quitte à retrouver certains gestes de l’apothicaire d’antan ? L’idée n’est pas nouvelle et fait toujours débat, ce qui n’empêche pas de boire une bonne tisane en y songeant.
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