Médecine pratique

La perlèche

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Publié le 20/03/2020
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Qui connaît le terme de chéilite angulaire ? C’est pourtant la dénomination médicale de la perlèche. Les commissures labiales peuvent être malades ! Puisqu’il s’agit d’un pli, les pathologies à cet endroit peuvent aussi s’appeler intertrigo. Intertrigo infectieux, si la perlèche est due à un microbe, intertrigo tumoral si l’anomalie à ce niveau est due à une tumeur.
Perleche par incarnation

Perleche par incarnation
Crédit photo : dr

Candidose

Candidose
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Perlèche par hypersalivation

Perlèche par hypersalivation
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Candidose ou syphilides

Candidose ou syphilides
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C’est lorsque la commissure est fissurée, ce qui est la forme la plus fréquente d’atteinte de ce pli que l’on se rend compte de la complexité anatomique et fonctionnelle de cette petite zone qui joue un rôle mécanique essentiel.

Une étiologie banale et méconnue

La cause la plus souvent évoquée (à tort) est sans nul doute la mycose. La cause la plus commune : l’incarnation d’un poil.

Cette fissure disgracieuse, parfois purulente est souvent prise pour un bouton de fièvre, alors que la cause la plus commune, mais méconnue, est une agression de la peau par un poil. Un poil microscopique s’infiltre horizontalement dans l’épiderme (photo) et y poursuit sa croissance. Progression initialement indolente, la pousse du poil finit, du fait des mouvements d’ouverture et fermeture de la peau, par perforer la barrière entre l’épiderme et le derme et embrocher le derme : c’est le début de la douleur, du saignement et de la fissure.

La guérison la plus rapide sera obtenue après avoir procédé à l’ablation de ce poil invisible après l’avoir repéré puis extrait avec la pince à épiler. Bizarrement, cette cause n’est jamais décrite dans aucun traité de dermatologie. Elle est pourtant banale, fréquente et somme toute logique.

L'effet caustique de la salive doit être envisagé dans cette région sujette à la macération et au contact permanent avec la salive. En effet, l'hypersalivation ainsi que les tics de léchage permettent non seulement de pérenniser, mais peuvent constituer l'étiologie principale d'une perlèche. À l’inverse, le phénomène de sécheresse buccale ou xérostomie, peut être le mécanisme principal d'une perlèche sèche.

Le facteur mécanique avec affaissement du pli commissural peut être mis en cause. Le clinicien se doit de chercher des facteurs favorisant l'occlusion de l'espace intermaxillaire de manière trop prononcée, avec notamment un contexte d'avulsion des dents postérieures, un prognathisme, un contexte d'édentation (formant le tableau nommé pseudochéilose).

Les autres causes de perlèche

Les causes locales sont importantes à considérer. L'allergie de contact se doit d'être évoquée, si la perlèche est bilatérale, notamment vis-à-vis des cosmétiques utilisés par le patient, ainsi que vis-à-vis de certaines prothèses dentaires, voire certains dentifrices (parfums, conservateurs).

Le virus herpès est une virose pouvant atteindre la commissure labiale, bien évidemment. Unilatérale, douloureuse avec des vésicules, elle durera 5 à 6 jours.

Le clinicien peut être confronté à une perlèche en rapport avec un sinus malformatif angulaire congénital borgne, touchant dans certaines séries 12 % de la race caucasienne et 20 % de la race négroïde.

Les causes régionales doivent être évoquées et justifient l'examen buccal et de toute la zone cutanée du visage.

Parmi les causes bactériennes, l'impétigo doit être évoqué, notamment sous sa forme croûteuse dans le cas d'une atteinte staphylococcique ou streptococcique. La présence d'autres lésions à distance permettra d'orienter le diagnostic.

Une origine fongique bien que très nettement moins fréquente qu’on ne le croit, doit être suspectée, notamment dans le cadre d'une candidose ; la recherche d'un muguet lingual, d'une atteinte buccale ou d'un intertrigo des autres plis doit être systéma­tique.

Les causes générales représentent une part essentielle des étiologies de ces perlèches et le clinicien se doit non seulement d'examiner l'aspect de la muqueuse buccale et de la peau faciale, mais également de rechercher d'autres lésions à distance à type d'intertrigo ou de dermatite avec une distribution évocatrice (séborrhéique, en zones photoexposées…). En effet, sur le plan dermatologique, la perlèche peut très bien entrer dans le cadre d'une dermatite atopique, ou d'une dermatite séborrhéique classique.

Les étiologies carentielles peuvent parfois être évoquées et entrer dans le cadre d'une atteinte dermatologique et extra-dermatologique plus vaste.

- La carence martiale peut se manifester par la présence d'une perlèche avec un cortège d'autres signes cutanés plus classiques (glossite dépapillante, pâleur cutanéo-muqueuse, prurit diffus, et d'autres symptômes généraux de la sidéropénie…).

- La carence en vitamine B2 ou ariboflavinose réalise un syndrome oro-oculo-génital qui consiste en la présence d'une chéilose (tableau associant érythème, xérose et fissuration verticale des lèvres), présence d'une langue « magenta » associée à une perlèche.

- Le déficit en vitamine B6 ou pyridoxine se présente sous la forme d'une dermatite simulant une dermite séborrhéique classique de la face, du cuir chevelu, touchant encore les épaules, les cuisses ainsi que le périnée.

- Le déficit en acide folique, par malabsorption, par défaut d'apport, dans le cadre d'une hémopathie ou de la prise d'un médicament antagoniste (méthotrexate, sulfamides…) se traduit par une glossite atrophique, des ulcérations buccales, une perlèche et une pigmentation diffuse pseudo-addisonienne.

- L'avitaminose C se manifeste surtout sur le plan gingival avec des hémorragies et un caractère quelquefois hypertrophique de la muqueuse. L'association à une perlèche a déjà été décrite.

- La carence en vitamine PP ou nicotinamide est responsable du tableau de pellagre présent chez les personnes âgées, certaines personnes alcooliques, suite à certains régimes alimentaires, à certaines malabsorptions intestinales, à la prise de certains médicaments (isoniazide, 5 FU)… Sur le plan clinique, il existe une perlèche associée à une chéilose, une glossite, ainsi que des placards érythémateux douloureux des zones photoexposées, survenant de manière symétrique avec parfois évolution bulleuse, puis cicatrices hyperpigmentées sur ces mêmes zones.

- Le syndrome du glucagonome se rencontre dans le cadre de patients souffrant d'une tumeur à cellules alpha du pancréas, de caractère malin et hypersécrétant, pouvant constituer des métastases notamment au niveau hépatique. L'atteinte cutanée spécifique est surtout marquée par la présence de l'érythème nécrolytique migrateur, élément principal sur le plan clinique, associé à une perlèche, une chéilose, une glossite rouge, une alopécie diffuse ainsi qu'une blépharo-conjonctivite et une fragilité unguéale.

Les causes intriquées mêlant plusieurs causes précitées de manière plus ou moins prédominante forment la plupart des cas, imposant un traitement adapté prenant en compte tous les mécanismes de cette perlèche.

Le diagnostic différentiel

Les syphilides sont des lésions à bord papuleux, formant un bourrelet autour d'une fissure centrale, simulant une perlèche. Il s'agit d'un diagnostic à ne pas méconnaître. L'examen général y voit, là encore, toute son importance.

Les traitements

Le traitement étiologique devra être aussi adapté que possible au cas par cas, utilisant des anti-infectieux qui doivent faire la preuve de leur efficacité si cette hypothèse est retenue, une adaptation prothétique chez les édentés avec remise en état de la cavité bucco-dentaire auprès d'un spécialiste, voire une supplémentation en éléments déficitaires.

Un traitement symptomatique devra être proposé, en phase aiguë ou subaiguë, basé très fréquemment sur l'utilisation d'un détergent à visée antiseptique (Bétadine, Hexomédine, chlorhexidine). En cas de suintement modéré, des pulvérisations au Sérozinc ou en eaux thermales pourront être préconisées, ainsi que l'utilisation de préparations à base de cuivre et de zinc, à visée calmante et antiseptique.

La présence d'un suintement important avec fissuration profonde pourra faire préconiser l'emploi de solutions au nitrate d'argent à 0,5 %, en attouchements.

L'évolution récidivante et chronique de la perlèche ne doit pas conduire à une « démission médicale », mais au contraire à un soutien et à des explications aussi précises que possible de la part du praticien. L'utilisation préventive d'émollients à visée hydratante peut être utile.

Pr Philippe Humbert
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Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3588