Se gratter a de tout temps été une occupation quotidienne des êtres vivants. L’homme, tout comme les animaux, se gratte dès lors qu’il en ressent le besoin, qu’il perçoit des sensations souvent désagréables mais soulagées par le grattage, qui apporte un soulagement mais aussi un bienfait.
Sans éruption concomitante sur la peau, la démangeaison pourrait en effet paraître sympathique et ne pas inquiéter. Or il n’en est rien. Toute démangeaison sans lésion dermatologique persistant depuis plus de trois semaines est préoccupante.
La peau est rarement en cause
Malheureusement, ce symptôme très ancien, rapporté dans de nombreux écrits, a souvent été rapporté à l’état de la peau. Car nul ne pouvait imaginer une cause profonde, une raison interne de se gratter, sauf lorsque la démangeaison est l’expression d’une allergie. Mais dans ce cas il y a « éruption », à type d’urticaire ou d’eczéma.
Car une chose est sûre, et il est bon de le rappeler de façon abrupte : le prurit, puisque tel est le terme consacré pour désigner la démangeaison, n’est jamais de cause allergique ! Ceci étant dit, on évitera de s’en remettre trop rapidement à une telle étiologie, qui risque de faire perdre du temps, mais aussi de porter un préjudice en termes de qualité de vie et de pronostic parfois vital.
Puisqu’il y a toujours un « sauf », ou pourra dire que le prurit sine materia (terme que l’on emploie improprement pour désigner les démangeaisons sans éruption cutanée, alors que sine materia étymologiquement signifie « sans cause »), n’est jamais allergique, sauf en cas de prise de certains médicaments. Et ces médicaments sont fréquemment prescrits aujourd’hui puisqu’il s’agit des IEC, inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, famille de molécules à activité cardiovasculaire. On y ajoutera une famille de molécules très proches, les sartans.
Ces médicaments sont une cause fréquente de démangeaisons, même si en fait peu de publications scientifiques ne s’y sont attachées. Il y a un piège et une difficulté à retenir le rôle de ces médicaments dans un prurit. Alors que la grande majorité des effets secondaires dus aux médicaments survient dans les premiers jours de la prise, en général dans les 15 jours qui suivent la prise du premier comprimé, ici la démangeaison peut apparaître plusieurs semaines, voire plusieurs mois ou années après la prise du premier comprimé. Donc, tout malade traité par IEC ou sartan présentant un prurit est suspecté d’avoir une intolérance à ces médicaments. D’autres médicaments sont aussi à l’origine de démangeaisons. Il s’agit des morphiniques, et des bêta-lactamines.
On retient trop facilement la peau sèche
La xérose cutanée, puisqu’il faut bien médicaliser le symptôme, est souvent évoquée, voire retenue de prime abord devant un prurit. Comme si la peau pouvait d’un seul coup, du jour au lendemain devenir sèche sans raison. Parce que lorsque l’on retient la peau sèche comme cause à une démangeaison chronique, nul ne s’interroge sur la raison possible de survenue de sécheresse.
Cette hypothèse, que je n’ai quasi jamais observée dans ma pratique médicale, est trop rapidement évoquée et retenue. Surtout lorsque le patient est une personne âgée ; on parlera de « prurit sénile ». Comme si la sénilité était une cause en soi de maladie. À 80 ans on a beaucoup plus de raison d’avoir une cause de démangeaisons qu’à 20 ans, alors pourquoi justement dans cette population va-t-on si rapidement vers un diagnostic très controversé ?
Toute démangeaison qui dure plus de trois semaines est inquiétante
En effet cet adage doit être retenu. S’il était classique de dire ou d’enseigner « devant un prurit sine materia il faut éliminer un lymphome », il convient d’être plus directif et de déclarer : « devant un prurit sine materia il faut rechercher un lymphome ».
Et pour ce faire se donner les moyens de mettre le doigt sur la maladie d’Hodgkin de ce sujet, jeune étudiant le plus souvent, qui se met à se gratter parfois au moment des examens.
Puisque la peau est encore trop souvent considérée comme un organe isolé - la longue histoire de la dermatologie internationale en porte son tribut - et alors que l’on sait que près de 60 % des maladies dermatologiques sont en relation avec les fonctions d’autres organes, que le prurit est le maitre-symptôme cutané des services d’hématologie, on oublie trop souvent de questionner et d’examiner l’ensemble de l’organisme. C’est véritablement ce qu’il faut faire en matière de prurit car il n’y a rien de tel que quelques questions bien posées pour évoquer une parasitose systémique.
Les retards diagnostiques étiologiques sont nombreux chez des jeunes gens souffrant de prurit.
Les maladies trop souvent évoquées
La gale est évoquée, mais, sans notion de contage, sans information épidémiologique, sans lésions eczématiformes dans les territoires conventionnels (pas besoin du sillon et de la vésicule qui, s’ils sont pathognomoniques, ne s’observent que dans dix pour cent des cas de gale), elle ne devrait pas être retenue comme cause de démangeaisons diurnes, diffuses, de surcroît résistant à des traitements antiscabieux bien conduits. Un traitement d’épreuve ne serait pas une erreur chez un sujet jeune, sauf s’il remplace la palpation des aires ganglionnaires et la radiographie pulmonaire.
Le stress est souvent incriminé alors qu’il n’est que le facteur causal d’une possible dépression.
Car le prurit fait partie du tableau clinique de certaines dépressions dont le diagnostic sera affirmé par la réponse positive à cinq ou six questions parfaitement connues des médecins, portant sur la tristesse, les idées noires, l’estime de soi, les troubles du sommeil.
Le prurit : une notion de contexte
Un principe : un prurit prolongé chez un sujet jeune doit évoquer une pathologie ganglionnaire ou hémopathie. Il ne faut pas tarder à faire pratiquer une radiographie pulmonaire et une numération formule sanguine.
Il faut savoir aussi que les causes parasitaires des prurits sont nombreuses. Elles représentent 30 % des cas. Il en est du prurit comme de l’urticaire dans ce domaine.
Le rôle de toxocara canis est bien connu depuis nos travaux, mais il existe bien d’autres nématodes en cause (ascaris, oxyures, trichocéphale, bothriocéphale, anguillule, ankylostome).
Il faut savoir remettre un traitement antiparasitaire d’épreuve, même en l’absence d’hyperéosinophilie, je dirais même surtout en l’absence d’hyperéosinophilie. Car au stade du prurit, il n’y a pas, il n’y a plus d’éosinophiles. Combien de diagnostics méconnus faute d’éosinophiles sur lesquels le médecin voulait absolument s’appuyer.
Parmi les causes les plus fréquentes, il y a les intolérances alimentaires de prévalence croissante ! Oui l’intolérance au gluten est bien une cause de prurit. Pour s’en convaincre il faut supprimer le gluten chez ce malade qui a une rhinite saisonnière, qui a des gaz et ballonnements, qui ne supporte pas la bière et qui s’endort après un plat de pâtes ou de semoule.
Pas besoin de cibler la maladie cœliaque, celle-ci n’étant qu’une des formes digestives de l’intolérance au gluten. Chacun connaît désormais les NCGI : les Non-Cœliaque Gluten Intolérances.
Il doit être reconnu aujourd’hui que le gluten appartient aussi bien au dermatologue, avec les pelades, les prurits… qu’au rhumatologue, avec des polyarthrites, qu’au psychiatre, avec des anorexies mentales ou dépressions, ou qu’au pneumologue, avec des asthmes.
Quel bilan faut-il faire devant un prurit ?
La question n’est pas bien posée, car ainsi posée elle ne satisfera ni le malade, ni le médecin, ni même le laboratoire. Car seul le contexte saura guider la prescription d’examens complémentaires.
Car chez cet homme de 75 ans qui a des antécédents d’ulcère gastrique (et non duodénal), de coliques néphrétiques, de cataracte et de dépression, c’est bien sûr une hypercalcémie de l’hyperparathyroïdisme qu’il faudra rechercher.
Chez cette jeune femme, qui collectionne les relations sexuelles sans protection, qui a fait pneumonies, diarrhées, il faudra faire une sérologie VIH, voire hépatites.
De façon systématique, parce que ces analyses sont communes, on ne passera pas à côté d’une cholestase en dosant gamma GT et phosphatases alcalines, ni d’une insuffisance rénale en dosant la créatinine et la clairance de la créatinine, ni même une gammapathie monoclonale par l’électrophorèse, surtout si ce malade a mal aux os, et une parésie des membres, autant de signes du myélome.
Les maladies thyroïdiennes sont mises à toutes les étiologies. Exceptionnelles sont les hyperthyroïdies, et les signes sont tellement caractéristiques. Quant à l’hypothyroïdie, elle est si souvent peu symptomatique au moment de sa découverte qu’elle est rarement découverte à l’occasion d’un prurit.
Mais surtout, ne pas banaliser. Car poser le diagnostic d’Hodgkin plusieurs mois après le début de la maladie ne peut pas se concevoir tant la radiographie pulmonaire doit être faite systématiquement.
Le traitement ne sera raisonnable que s’il traite la cause. Les antihistaminiques si souvent prescrits n’ont pas leur place dans une pathologie où il n’y a pas de processus histaminique.
Soulager par des topiques cosmétiques est louable, mais ces préconisations ne doivent pas remplacer la quête inlassable de la cause.
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Françoise Amouroux
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