VEAUX, VACHES, cochons, couvées : les élevages sont tous concernés par la surconsommation d’antibiotiques, en cause dans l’émergence de souches bactériennes multirésistantes. Selon l’Agence européenne du médicament (EMEA), le phénomène serait directement responsable de 25 000 décès humains par an en Europe, dont 4 200 en France. De quoi sérieusement inquiéter les autorités sanitaires. En France, les ministères de l’Agriculture et de la Santé ont mis en place un comité chargé de réfléchir à un « usage raisonné » des antibiotiques. Réuni en début d’année, il associe à l’ANAES (agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) des représentants de toute la filière : éleveurs, vétérinaires, pharmaciens et associations de consommateurs. Cette réflexion, qui doit aboutir à de nouvelles recommandations fin 2011, voit resurgir le conflit déjà ancien entre les professionnels du médicament vétérinaire. Pour les pharmaciens, le recours excessif aux antibiotiques (notamment les fluoroquinolones et les céphalosporines de troisième génération) s’explique d’abord par la mainmise des vétérinaires sur la vente de ces médicaments aux éleveurs. Devenu très courant, ce système de dispensation est jugé « hautement perfectible » par l’Ordre des pharmaciens, qui le voit entaché d’un conflit d’intérêt latent. « Cela paraît tellement évident. Pourtant, les pharmaciens sont les seuls aujourd’hui à tenir ce discours, affirme Jacky Maillet, président de l’Association nationale de la pharmacie vétérinaire d’officine (ANPVO). Nous demandons au comité d’évaluer cette hypothèse, ce qu’il refuse de faire pour l’instant. » Les pharmaciens avancent pourtant des arguments de poids. « Au Danemark, depuis plusieurs années, le vétérinaire n’a plus le droit de toucher de bénéfices sur la vente des médicaments qu’il prescrit. Résultat : dans la filière porcine, qui demande le plus d’antibiotiques, la consommation de ces médicaments est diminuée de 40 %. » Suivant cet exemple, Jacky Maillet estime qu’il faut revoir le système de rémunération des vétérinaires.
Aujourd’hui, près de 70 % de leur chiffre d’affaires repose sur la vente de médicaments, dont 20 % proviennent des antibiotiques. Le président de l’ANPVO propose ainsi que les vétérinaires « touchent leurs honoraires, plutôt que de faire des actes gratuits pour s’assurer la vente des médicaments ». Pour éloigner ce « désastre sanitaire », le pharmacien a d’autres pistes : la hiérarchie des recours aux antibiotiques, la pratique plus systématique des antibiogrammes, la vaccination.
Un guichet unique.
On pouvait s’y attendre, les vétérinaires n’ont pas la même analyse de la situation. Ils ne veulent pas être pointés du doigt. « N’oublions pas que 65 % des antibiotiques administrés sont présents dans les aliments médicamenteux* et ne relèvent donc pas des vétérinaires », s’insurge Claude Andrillon, vice-président du syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). Sur le terrain, selon lui, les prescriptions se justifient. « Il y a plus de décès faute d’avoir utilisé des antibiotiques au bon moment que d’en avoir fait un mauvais usage », argumente t-il. Le vétérinaire estime cependant que ses confrères ont pris conscience du problème. Il les incite à optimiser les résultats des antibiogrammes qui seraient pratiqués de façon très régulière, indique t-il.
Pour les praticiens, la remise en cause doit aussi concerner les possesseurs d’animaux de compagnie (qui poussent à la médicalisation vétérinaire), les stations d’épuration (et leurs capacités à éliminer les bactéries) et les autorités sanitaires (qui accordent une AMM tout en cherchant à restreindre la prescription). Et au final, c’est surtout l’éleveur qui tranche. « Comment voulez-vous le fidéliser si vous prescrivez des médicaments de dernière génération, plus chers, de façon non justifiée ? », s’interroge Claude Andrillon. Il défend l’idée du guichet unique regroupant prescription et dispensation du médicament : « c’est plus commode » et « c’est gage de compétence », précise t-il. Et d’enfoncer le clou : « On le voit, la séparation entre prescription et dispensation n’amène aucune sécurité supplémentaire au plan sanitaire. En dehors de 3 ou 4 officines par département, les pharmaciens n’ont ni la compétence, ni la capacité pour requalifier une ordonnance vétérinaire. Le conflit d’intérêt existe aussi du côté des officinaux, tant que leur mode de rémunération est basé sur un système de marge », affirme le vétérinaire, devenant de façon indirecte l’allié de certains pharmaciens qui soutiennent cette évolution. Les terrains d’entente ne sauraient éternellement rester en friche.
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Françoise Amouroux
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