Le Quotidien du pharmacien.- Élue présidente de la République, garantirez-vous les fondamentaux de l’officine ?
Valérie Pécresse.- Parce qu’il est basé sur la compétence et qu'il est un gage de qualité de service et de garantie de l’authenticité des produits, je suis attachée au maintien du monopole pharmaceutique sur la possession du capital des officines et la dispensation des produits qu’il couvre aujourd’hui.
Des adaptations pourront bien entendu être envisagées pour faciliter l’installation des jeunes, pérenniser l’activité dans certaines zones et permettre la conduite d’investissements lourds. Un mécanisme de mutualisation du capital de plusieurs officines ou d’équipements sur un territoire pourrait par exemple être étudié en concertation étroite avec les représentants de la profession. Ce mécanisme devrait impérativement garantir que le ou les titulaires d’une officine restent toujours maîtres des décisions qui engagent leur expertise professionnelle.
Pour ce qui concerne la vente en ligne, elle est aujourd’hui très encadrée et elle a vocation à le rester. L'« Amazon » de la pharmacie ne verra pas le jour sous mon mandat ! Au-delà d’un coup terrible à notre maillage de dispensation, cela ferait courir le risque d’une introduction de produits contrefaits dans notre système de distribution. Néanmoins, le vieillissement de la population et des difficultés géographiques particulières vont poser la question du renforcement des possibilités de dispensation à distance. Associant transport et conseil pharmaceutique à distance, nous étudierons la possibilité d’une distribution sécurisée des médicaments à domicile par les professionnels du territoire, comme cela se fait déjà par les infirmières qui interviennent chez des patients chroniques. Dans les territoires très isolés, comme les îles ou les vallées difficiles d’accès, un approvisionnement d’urgence par drone pourrait, par exemple, être étudié.
Face à la complexité croissante des produits de santé, les règles de publicité ne seront assouplies pour aucun produit de santé. Ma position est là aussi très claire. Sans remettre en cause le nécessaire débat contradictoire qui est une des bases du raisonnement scientifique, je renforcerai les moyens des autorités sanitaires pour lutter contre la diffusion d’informations dénuées de fondement scientifique ainsi que les sanctions contre les émetteurs de ces messages.
Comptez-vous pérenniser et étendre les rôles confiés aux pharmaciens pendant la pandémie ?
La santé est un travail d’équipe et il me semble que la pandémie a une nouvelle fois démontré la capacité des pharmaciens à assumer de nouvelles missions, avec beaucoup de professionnalisme. Je souhaite ici saluer leur rôle qui a été absolument déterminant tout au long de la pandémie. La profession représente aujourd’hui un maillage territorial efficace de professionnels de santé très qualifiés et en qui la population a confiance, facilement accessibles et qui garantissent une garde 24/7 pour permettre l’accès aux produits de santé.
En cohérence avec ma vision de la santé globale par laquelle la santé doit être portée par toutes les politiques publiques, je compte non seulement pérenniser les missions de santé publique des pharmaciens en ouvrant une discussion sur un élargissement de leur rôle en matière de vaccination et de prévention, mais aussi m’appuyer sur eux pour améliorer la qualité des prises en charge médicamenteuses, en développant largement la conciliation médicamenteuse et en expérimentant le déploiement de pharmaciens cliniciens dans les formes d’exercice coordonné. À l’image de ce qui existe dans certains services hospitaliers, ces pharmaciens seraient des supports des prescripteurs et pourraient mettre en place des actions de proximité d’éducation à la santé. Notre système de santé a besoin de liberté, de coopération, de confiance et d’énergie et c’est précisément ce projet que je propose aux Français de porter pendant ces 5 prochaines années.
Sur le dossier de la désertification médicale : envisagez-vous une aide aux pharmaciens installés en zones sous-dotées ?
Dans le cadre de l’application de l’ordonnance du 3 janvier 2018 relative à l'adaptation des conditions de création, transfert, regroupement et cession des officines de pharmacie, le ministère de la Santé mène actuellement des travaux pour permettre aux ARS d’établir un zonage pharmaceutique sur la base de critères qui figureront dans un décret. Contrairement à la situation rencontrée pour les médecins généralistes, l’accès aux services pharmaceutiques est aujourd’hui assuré pour l’immense majorité de nos compatriotes partout en France. En lien avec l’évolution du pilotage des ARS que je propose, en les faisant désormais présider par les Régions et en renforçant en leur sein le rôle des élus locaux dans leur gouvernance, je souhaite que des aides financières, complémentaires à celles pouvant être incluses dans la convention, puissent être déployées en fonction des besoins des territoires. Le système de santé de demain devra être selon moi un système simplifié, débureaucratisé et territorialisé afin que les décisions soient prises au plus près des besoins du territoire.
Au-delà des officines, il convient également d’agir contre les difficultés de recrutement que rencontrent de nombreuses pharmacies à usage intérieur des établissements de santé et médico-sociaux. Pour lutter contre cela, je faciliterai les passerelles entre les spécialités de la profession, renforcerai les capacités de formation en augmentant fortement les professionnels formés et ouvrirai de nouvelles places d’internat. C’est bien un choc de formation que je propose pour notre système de santé et que j’engagerai dès mon arrivée aux responsabilités. Enfin, en lien avec l’évolution des métiers, je propose l’ouverture de nouvelles spécialités pour la profession avec des internats de santé publique et de pharmacie clinique.
Pensez-vous restructurer l’organisation des soins et de la santé dans les territoires, notamment en réformant les ARS ?
Les deux sujets sont liés mais différents. La réforme des ARS que je propose s’inscrit dans un plan global de décentralisation du pilotage de notre système de santé qui va permettre de rapprocher des citoyens le traitement de leurs enjeux de santé et l’élaboration des réponses. Très concrètement cela veut dire que l’organisation des soins et de la santé sera demain organisée à partir des diagnostics territoriaux déjà existants en adaptant des modèles nationaux et non en cherchant à imposer des modèles préconçus à des réalités locales variées. C’est la garantie de la qualité du service de santé rendu aux citoyens qui doit guider l’action. Pour cela, les territoires pourront s’appuyer sur les principes et politiques cadres développés au niveau national, les adapter, ou en développer de nouveaux. Ces adaptations ou innovations locales devront être co-construites avec les professionnels de santé, tirer parti des outils numériques qui sont clés pour l’avenir de la santé, et respecter les normes et protocoles développés par nos agences sanitaires.
Vous le voyez, c’est bien une révolution des territoires que je propose qui permettra de libérer l’énergie de nos soignants, d’apporter des réponses adaptées aux besoins de santé des Français, mais aussi d’en finir avec une organisation souvent kafkaïenne de notre organisation centralisée, dont la pandémie a cruellement révélé l’impasse.
Je souhaite lier innovation et territoires. Notre système a besoin d’une génération de managers de la santé et de start-upers dans les territoires. L’innovation n’est pas uniquement dans les CHU, mais bien dans la coopération entre tous les professionnels de santé, indépendamment de leur statut.
Dans le domaine de l’interprofessionnalité justement, prévoyez-vous une simplification de l’exercice coordonné et des incitations financière plus conséquentes ?
Si l’exercice coordonné est clairement un des piliers de l’avenir de notre système de santé, force est de constater que, là aussi, l’approche retenue jusqu’ici a été trop technocratique, uniforme, et bien sûr trop lente. Les gouvernements successifs depuis 10 ans ont trop tardé à agir pour lutter efficacement contre les déserts médicaux, à s’adapter aux nouvelles aspirations de vie des jeunes professionnels et à tirer parti des outils numériques.
Mon soutien aux structures d’exercice coordonné passera par plusieurs actions : la mise en place d’une convention unique qui remplacera celle des MSP, CPTS et ESP* et définira des missions et les rémunérations correspondantes sur la base de critères de qualité et de population, la mise à disposition en temps réel des données de l’assurance maladie pour la patientèle suivie, la possibilité pour tous les acteurs de santé de rejoindre ces dispositifs et pour les collectivités locales de les aider par des moyens financiers et/ou humains. Ces structures recevront un soutien renforcé notamment en matière d’ingénierie projet et de gestion et bénéficieront d’outils numériques intégrés et évolutifs.
En parallèle, l’évolution des modes de rémunérations permettra de mettre en place des intéressements collectifs basés sur les résultats thérapeutiques, mais aussi la satisfaction des patients que je souhaite généraliser dans notre système de santé pour en faire une véritable boussole dans notre pilotage.
Le déploiement du numérique en santé sera-t-il poursuivi sous votre mandat ?
Parce qu’il est un secteur particulier et que les données de santé sont très sensibles, la mue du secteur de la santé vers le numérique a été plus lente. Je me félicite de l’accélération récente du déploiement des outils et j’adhère à la vision d’État plateforme qui est la base des travaux actuels. Je regrette en revanche que, comme sur tant d’autres sujets, la communication du gouvernement l’emporte trop souvent sur la réalité des actions mises en œuvre. Je pense notamment au naufrage du Health Data Hub. Derrière la communication grandiloquente des pouvoirs publics se cache un projet aujourd’hui à l’arrêt du fait de décisions irresponsables prises par le gouvernement et qui vont concrètement faire prendre beaucoup de retard à nos chercheurs et à nos entreprises qui avaient pourtant bien besoin d’un accès simplifié aux données de santé.
En matière de numérique, les priorités de mon gouvernement seront, dans le respect de la protection des données de santé et de nos enjeux essentiels de souveraineté, de déployer des outils qui faciliteront l’exercice des professionnels et seront simples d’usage pour nos concitoyens. À cet égard, le travail réalisé par les pharmaciens pour aboutir au dossier pharmaceutique est impressionnant et doit être source d’inspiration. Une des erreurs, trop classique, de nos administrations est de chercher à développer un système parfait et centralisé qui arrive trop tard et est souvent inutilisable en pratique. Il faut donc capitaliser sur l’expérience utilisateur et s’appuyer sur des partenaires privés quand cela est nécessaire.
Le rôle de l’État n’est pas de tout faire mais doit se limiter à la fixation du cap et des principes fondamentaux de protection des données. Qui a révolutionné la prise de rendez-vous en ligne en France ? Le ministère de la Santé et la CNAM ? Non. C’est Doctolib. Les partenaires privés, tant qu’ils respectent des règles strictes, peuvent accélérer la numérisation de notre système. C’est d’ailleurs la vraie philosophie de l’État plateforme : apporter les données, fixer les objectifs, encadrer, laisser faire des acteurs responsabilisés, évaluer les résultats, corriger si nécessaire.
« Mon espace santé » sera non seulement déployé mais j’irai plus loin en rendant obligatoire sa complétude sur un ensemble d’informations. La numérisation ne peut se faire à vitesse variable et selon la volonté de certains ou non. Nos citoyens méritent un dossier numérique complet. La téléconsultation, le carnet vaccinal numérique, et l’e-prescription seront bien sûr pérennisés. Le Conseil du numérique en santé sera en charge de définir les améliorations fonctionnelles nécessaires sur la base des retours d’utilisations. Les outils numériques de la santé de demain doivent être aussi simples à utiliser qu’une application de smartphone. Il convient toutefois de ne pas oublier que nombreux de nos compatriotes ne sont pas familiers des outils numériques ou ne peuvent y accéder. Dans une vision globale d’accès aux services publics et de lutte contre les fractures numériques, nous déploierons des points d’accès de proximité et faciliterons l’accès de tous à Internet. Un dispositif papier restera possible pour l’ensemble des formalités.
Que comptez-vous faire pour que la France joue à nouveau dans le concert des nations innovantes en matière de médicaments, d’essais cliniques, de R & D, d’investissements industriels et de relocalisation ?
La France est une terre historique de l’industrie pharmaceutique et de l’innovation. Au-delà des actions déjà engagées depuis des années pour renforcer notre attractivité, notamment avec sur la base des travaux du Comité stratégique des industries de santé créé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin, je propose un ensemble de mesures fortes. Tout d’abord au travers des mesures de mon plan en faveur de l’industrie mais aussi au travers de mesures spécifiques, à commencer par la simplification des démarches pour les industriels.
Savez-vous que les entreprises de santé n’ont aujourd’hui pas moins de 12 interlocuteurs dans les administrations quand elles souhaitent développer un projet en France ? La visibilité est une autre dimension qui me semble capitale pour retrouver toute notre attractivité. C’est ainsi que je ferai désormais voter une loi de programmation quinquennale en matière de santé qui donnera à tous les acteurs, industriels comme offreurs de soins, une visibilité sur 5 ans du cap financier qui sera suivi. Je souhaite également que nous réduisions enfin les délais d’évaluation, en nous positionnant dans la moyenne européenne de 180 jours. Au-delà, je souhaite que soient pris en compte, dans la fixation des prix des médicaments, les investissements consentis et de la présence d’une chaîne de production indépendante en France ou en Europe, ou encore du bilan carbone de la production. J’ai en outre pleinement conscience que le secteur du médicament a besoin de croissance car sans croissance pas d’innovation.
Enfin, au-delà du soutien aux produits « traditionnels », je ferai de l’avancement des usages de l’intelligence artificielle en santé un des marqueurs de ma politique. Les start-ups dans ce domaine bénéficieront ainsi d’un guichet d’accès dédié aux données de santé ainsi que d’un accès privilégié aux marchés des pouvoirs publics, dans le cadre d’un small business act à la française. En la matière, notre pays peut et doit devenir leader dans le monde et je porterai avec force ce combat.
*Maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), Communauté professionnelle territoriale de Santé (CPTS) et Équipe de soins primaires (ESP).
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