Ostéopathie, naturopathie, mais aussi reiki, yoga thérapie, etc. Les approches de santé non conventionnelles se multiplient, suscitant un engouement sans précédent. Ainsi, la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) estime que quatre Français sur dix recourent à des soins alternatifs. Et un récent sondage d’Odoxa suggère un enthousiasme singulier pour les pratiques reposant sur des « remèdes naturels », auquel les pharmaciens tendent à répondre. « En témoigne le développement des corners " médecine douce " dans les officines », observe Bruno Maleine, pharmacien président de la section A de l’Ordre national des pharmaciens.
Problème : les soins non conventionnels se révèlent très pourvoyeurs de dérives thérapeutiques et sectaires, pas si nouvelles mais à l’ampleur inédite. En 2021, « environ 20 % (des signalements de dérive sectaire) concernent le champ de la santé, (…) dont 70 % relèvent de pratiques de thérapies non conventionnelles », détaille la Miviludes dans son dernier rapport.
Dans ce contexte, les pharmaciens sont appelés à s’élever contre les mauvaises pratiques. Et en premier lieu à ne pas y contribuer, en « faisant extrêmement attention à (leur offre) », insiste Bruno Maleine. Mais parmi les produits utilisables dans le cadre de soins complémentaires, que peut-on exactement délivrer sans nuire ?
Des repères réglementaires
Si quelques grands principes déontologiques et pharmaceutiques doivent guider la réflexion (désintéressement, indépendance, lutte contre le charlatanisme, rapport bénéfices/risques des produits, etc.), la loi et l’Ordre fournissent quelques réponses précises.
Certaines limites sont clairement définies puisque restent tout bonnement interdites à la vente l’ensemble des catégories de produits non mentionnées par l’article L.4211-1 du code de la santé publique (CSP) ou par les arrêtés et décrets listant les produits admis à l’officine. Aussi, l’Ordre rappelait en 2017 que les denrées « purement alimentaires ne sont pas autorisées à la vente ». « Une pharmacie n’est pas une épicerie bio », renchérit Bruno Maleine, alors que les naturopathes préconisent actuellement divers « superaliments comme les baies de Goji dans leurs conseils en nutrition », indique Alexandra Attalauziti, présidente du syndicat des professionnels de la naturopathie.
À l’inverse, certains produits licites sont distinctement listés dans les textes officiels. C’est le cas des plantes médicinales inscrites à la pharmacopée et de plusieurs huiles essentielles (listées par décret en 2007), au rapport bénéfices/risques connu et intégrées au monopole pharmaceutique selon l’article L.4211-1 du CSP. La délivrance de ces produits utilisables pour des approches non conventionnelles relève totalement des prérogatives des pharmaciens.
Néanmoins, la réglementation ne permet pas de trancher si facilement tous les dilemmes. Sont ainsi ouverts à la vente – sans monopole pharmaceutique ni liste exhaustive – les autres plantes médicinales et huiles essentielles, les « produits diététiques, de régime » et les compléments alimentaires. Soit des catégories dans lesquelles le champ des possibles donne le tournis, avec des offres parfois peu fiables (fournisseurs méconnus, vente directe sur Internet, actifs exotiques, allégations douteuses) et surtout extrêmement vastes et changeantes : « à la différence des médicaments, il est très difficile d’estimer le nombre de spécialités de compléments alimentaires présents sur le marché, tant celui-ci évolue », relève Aymeric Dopter, chef de l’unité d’évaluation des risques liés à la nutrition à l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). De quoi semer le doute sur ces produits dont certains sont à l'origine d’incidents de sécurité : « 90 % des signalements de nutrivigilance (traités par l’Anses) concernent des compléments alimentaires », confirme Aymeric Dopter.
Privilégier les produits conformes aux normes françaises
Pour faire le tri, une première solution est de sélectionner les spécialités conformes aux normes françaises – strictes, y compris pour les compléments alimentaires, avec encadrement des allégations, composition, qualité et dosage -, avance Jacques Chevallet, pharmacien et ancien vice-président du Syndicat national des compléments alimentaires (Synadiet). Plus précisément, en matière de compléments alimentaires, Jacques Chevallet recommande de privilégier ceux enregistrés et fabriqués dans l’Hexagone, qui ne peuvent sortir du giron de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) – autorité chargée des contrôles – et se révèlent rarement en cause dans les alertes de sécurité. Aymeric Dopter conseille aussi de se cantonner à ceux qui respectent le registre européen des allégations de santé. Ce qui vaut aussi pour les huiles essentielles, ajoute Félicia Ferrera-Bibas, vice-présidente officine de la Société française de pharmacie clinique (SFPC).
De bonnes connaissances scientifiques et pharmaceutiques permettent d’aller plus loin dans l’estimation des bénéfices et des risques. Si, par exemple, la commercialisation des compléments alimentaires ne requiert ni AMM, ni étude clinique, des données scientifiques plus générales sur les actifs utilisés peuvent être disponibles. Et « les pharmaciens sont en droit de demander aux fabricants d’accéder aux données de sécurité des produits pour se forger leur propre opinion », juge Aymeric Dopter.
Mais comme le laisse entendre Félicia Ferrera-Bibas, pour se prémunir des dérives, la question « que peut-on délivrer ? » ne peut être dissociée de l’interrogation « à qui peut-on délivrer ? ».
Une approche globale
Afin d’éviter les accidents, les produits dédiés à des soins non conventionnels doivent, comme les autres, conduire à la vérification d’éléments médicaux et pharmaceutiques. Comme l’absence de contre-indication – grossesse, asthme, etc. -. avec les huiles essentielles, illustre Félicia Ferrera-Bibas. Ou encore l’absence d’interactions alimentaires et surtout médicamenteuses, certaines s’avérant particulièrement délétères. Nombre de patients sont d’ailleurs potentiellement exposés, bien des sujets confrontés à des pathologies complexes et graves polymédicamentés se tournant vers les pratiques complémentaires. « Je me suis aperçue pendant les entretiens dédiés aux chimiothérapies orales qu’un patient sur deux consulte un naturopathe », témoigne Félicia Ferrera-Bibas. D’où la nécessité de s’en tenir à ses connaissances et de ne pas délivrer en cas de doute.
D’autres aspects encore doivent être pris en compte, suggère la spécialiste de pharmacie clinique. Citons les croyances des patients sur leur santé, leur relation avec d’éventuels professionnels de soins alternatifs, leur tendance à se fournir ailleurs qu’en pharmacie, à « consulter » les réseaux sociaux, etc.. Tous ces comportements doivent susciter le dialogue et parfois, la réorientation. L’enjeu : prévenir et repérer des situations d’emprise, des arrêts des traitements conventionnels, et in fine une rupture totale avec le parcours de soins classique.
Au total, les pharmaciens peuvent contribuer à la lutte contre les dérives portées par certaines approches non conventionnelles à la fois en contrôlant leur offre et en considérant les individus dans leur globalité. Mais pour faciliter cette mission, des progrès restent à faire, notamment en matière d’accès à l'information sur certains produits. Avec cet objectif, quelques initiatives méritent déjà d’être saluées. « Nous allons mettre en ligne un outil permettant de visualiser facilement les effets indésirables et les contre-indications des plantes médicinales présentes dans les compléments alimentaires », promet ainsi Aymeric Dopter. À noter la volonté affichée par plusieurs secteurs de se réformer. Ainsi Alexandra Attalauziti, présidente du syndicat des professionnels de la naturopathie, souhaite un meilleur encadrement de la formation et de la validation des compétences de ses confrères. En attendant, sur le site du syndicat, seuls sont recensés les professionnels au « profil certifié ».
Au total, le manque de temps, voire d’options conventionnelles, comptent parmi les obstacles les plus sérieux. Comme le déplore Félicia Ferrera-Bibas, « l’arsenal thérapeutique sans ordonnance n’en finit pas de se réduire, au point qu’on se trouve contraint de se tourner vers des huiles essentielles ou des compléments alimentaires plutôt que vers des médicaments ».
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