« Allez d’abord voir votre pharmacie ! » : largement diffusé par les autorités sanitaires écossaises, ce slogan illustre la place que celles-ci accordent aux pharmaciens, dont les missions n’ont cessé de progresser depuis une quinzaine d’années. Les officinaux écossais sont notamment des prescripteurs à part entière, dotés de très larges compétences.
Ancien pharmacien d’officine, Alex MacKinnon dirige, à Edimbourg, la branche écossaise de la Royal Pharmaceutical Society, l’association faîtière des pharmaciens britanniques. En 1999, explique-t-il, la loi dite de Dévolution a donné de larges compétences à l’Écosse, notamment dans le domaine de la santé, et les 1 256 pharmacies du pays (pour 5 millions d’habitants), ont su profiter de ces bouleversements. Aujourd’hui, les pharmaciens mènent non seulement de nombreuses missions de santé publique et de suivi des malades chroniques, mais assurent aussi directement la prise en charge et les prescriptions d’une vingtaine d’affections fréquentes mais non graves. De plus, le gouvernement écossais les encourage désormais à prescrire des médicaments au-delà de cette seule liste de maladies, l’objectif étant non seulement de délester les cabinets médicaux d’un nombre croissant de patients qui n’ont pas absolument besoin de s’y rendre, mais aussi de faire gagner du temps aux professionnels comme aux patients, et de réduire les coûts.
Honoraires
Tous ces services sont rémunérés aux pharmaciens, qui voient ainsi leur activité et leurs revenus progresser. « En Angleterre, explique Alex MacKinnon, les autorités font des économies sur les pharmacies, alors qu’en Écosse notre gouvernement mise sur elles pour l’avenir de la santé, et cela fonctionne bien ! »
En pratique, les pharmaciens sont payés par un honoraire de délivrance à la boîte, les traitements étant par ailleurs totalement gratuits pour les patients. Cet honoraire, variable selon les médicaments, est complété par trois principaux honoraires de « services » couvrant les missions progressivement dévolues aux pharmaciens depuis 2002 et versés en fonction du nombre de patients qui en bénéficient. Si les missions de santé publique rémunérées, y compris les programmes d’aide au sevrage tabagique ou de distribution de la pilule du lendemain, se retrouvent dans d’autres pays d’Europe, c’est en matière de prescriptions et de soins que le système est le plus original.
La prise en charge des affections mineures (« Minor Ailment Service », MAS) concerne 22 affections ou symptômes, comme l’acné et l’eczéma, la constipation et la diarrhée, la toux, les hémorroïdes, les maux de tête et d’oreille, les douleurs de dos ou menstruelles, le rhume des foins ou les congestions nasales. Les patients sont reçus par le pharmacien dans une petite salle de consultation, mais l'officinal doit, s’il l’estime nécessaire, les adresser à leur médecin généraliste. Dans tous les cas, il est habilité à leur prescrire des médicaments liés à leur affection. Le MAS, totalement gratuit, est toutefois réservé aux patients de moins de 19 ans et de plus de 60 ans, ainsi qu’à ceux bénéficiant de différents programmes d’aides sociales, les autres devant passer par un médecin ou demander une « prescription privée ».
« Prescription privée »
Ce terme signifie que l’acte de prescription et la consultation ne sont pas pris en charge par le NHS Scotland, la branche écossaise du service national de santé NHS. En dehors de la liste du MAS, de nombreuses autres maladies peuvent faire l’objet d’une prescription privée. Pour devenir prescripteurs privés, les pharmaciens doivent suivre une formation complémentaire, qui leur permet ensuite de prescrire la quasi-totalité des médicaments du répertoire, avec là encore l’obligation d’adresser le patient à son médecin au moindre doute. Le gouvernement encourage fortement les pharmaciens à développer cette activité, et un tiers d’entre eux y sont déjà formés. En outre, tout pharmacien peut prolonger pendant trente jours au maximum la quasi-totalité des prescriptions effectuées par un médecin, si ce dernier n’est pas rapidement accessible, par exemple en cas d’urgence ou lors d’un voyage loin de chez ce médecin.
Seconde grande mission, le service de médications chroniques (CMS) se retrouve d’ailleurs sous une forme légèrement différente dans le reste du Royaume-Uni. Les pharmaciens veillent à l’observance et au bon usage des médicaments prescrits lors de rencontres régulières, mesurent les tensions et les glycémies, et renouvellent les délivrances, le médecin pouvant prescrire des traitements d’une durée maximale de 48 semaines. Par ailleurs, près de 200 pharmaciens sont employés dans des cabinets médicaux où ils gèrent l’ensemble des aspects pharmaceutiques des traitements.
Accès aux soins et santé publique
Enfin, les services de santé publique concernent principalement l’arrêt du tabac, mais aussi l’ensemble des actes de prévention et d’éducation pour la santé. Des actes dont les Écossais ont d’ailleurs bien besoin, quand on compare leurs « résultats » sanitaires par rapport au reste de l’Europe. Que ce soit en matière de tabac et de BPCO, d’alcoolisme, de diabète et d’obésité, l’Écosse, ainsi que l’Angleterre et l’Irlande du Nord, trustent les pires places. « On enregistre même plus de cancers cutanés à Glasgow qu’en Australie, parce que les gens abusent des cabines de bronzage, surtout pendant les sombres et longs hivers écossais », se désole Alex MacKinnon.
En outre, si l’Écosse dispose comme l’Angleterre d’excellents services médicaux de pointe, l’accès aux soins médicaux est souvent long et fastidieux : c’est aussi dans ce contexte qu’il faut lire l’élargissement des compétences des pharmaciens, pour répondre d’une part au nombre insuffisant de médecins - ce problème s’aggravant encore avec le vieillissement de ces derniers et leurs difficultés à trouver des successeurs - et d’autre part aux énormes besoins de santé publique trop longtemps négligés.
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