C'est un objectif qui, au fil des années qui passent, relève de plus en plus du mirage. Vivra-t-on un jour de nouveau dans un monde où les pénuries de médicaments seraient l'exception, où les pharmaciens ne passeraient pas 10 heures par semaine à trouver des solutions pour pallier les manquants, où les patients n'auraient pas peur de devoir interrompre ou modifier leur traitement ? Il y a encore quelques mois, les représentants de la profession clamaient à l'unisson le même leitmotiv, « il ne faut pas s'habituer à vivre avec les pénuries ».
Comme tient à le souligner l'ANSM, il y a bien eu quelques progrès par rapport à l'hiver dernier, période durant laquelle les très médiatisées pénuries de paracétamol avaient jeté une lumière crue sur la gravité de la situation. Ces dernières semaines, la couverture des besoins est « assurée », concernant certaines spécialités suivies dans le cadre du plan hivernal, notamment les médicaments contre la fièvre, contre l’asthme et les corticoïdes par voie orale. Voilà pour le positif. Sur la globalité, « toutes les classes de médicaments sont concernées par les ruptures de stock ou les risques de ruptures », admet l'ANSM. Parmi les médicaments d’intérêt thérapeutique majeurs (MITM), ceux qui sont les plus touchés sont les médicaments cardiovasculaires, ceux du système nerveux, les anti-infectieux et les anticancéreux. Cet hiver, des problématiques nouvelles se font jour, en particulier sur les antibiotiques. Si le gendarme du médicament note « une amélioration progressive de l’approvisionnement des pharmacies et de la répartition d’amoxicilline et d’amoxicilline-acide clavulanique sur l’ensemble du territoire, en particulier sur les présentations pédiatriques », la situation est loin d'être rose. Récemment invité sur « Franceinfo » , le président de la FSPF, Philippe Besset, a lui indiqué ne pas voir de sensibles améliorations sur cette molécule. « Nous avons une rupture de l'amoxicilline, Clamoxyl et Augmentin. Il y a eu un approvisionnement une fois il y a deux semaines effectivement (3 aujourd'hui), mais de nouveau, nous sommes dans de très nombreux cas en rupture. On a vraiment un problème sur les antibiotiques. On ne s'en sort pas. » Philippe Besset n'est pas le seul à nuancer les améliorations soulignées par l'ANSM. Lors des « Rencontres de l’officine », d'autres acteurs du marché ont fait part d'un sentiment comparable. « L’ANSM a demandé aux laboratoires de libérer des stocks, ce qui a provoqué un retour aux niveaux du mois d’octobre pour certaines molécules, mais en cas de résurgence de pathologies hivernales, la situation s’aggravera de nouveau », évoquent-ils notamment. « Même si des améliorations sont perceptibles dans l’approvisionnement des grossistes-répartiteurs, nous restons dans des situations inconfortables pour assurer la couverture des besoins », renchérit Emmanuel Déchin, délégué général de la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique (CSRP). De grosses difficultés sont également observées sur d'autres spécialités. Au premier rang desquels, le Cefpodoxime pédiatrique et la pristinamycine (Pyostacine). Lors d’une nouvelle réunion tenue la fin janvier en présence de tous les acteurs de la chaîne du médicament, Pierre-Olivier Variot, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a demandé de libérer les stocks des génériques de certains médicaments en tension, comme Augmentin. Il rappelait également un autre problème qui concerne cette fois l’azithromycine : « Il y a des stocks énormes chez les industriels, plus de 4 mois, et rien ou presque en aval de la chaîne. »
Augmenter les essais cliniques
Pour Philippe Besset, il est urgent que la nouvelle ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités se saisisse pleinement du dossier. Augmentation de la demande, mésusage, vieillissement de la population, difficulté ou impossibilité de relocaliser la production, question du prix… les causes des ruptures et tensions sont, comme chacun sait, multifactorielles. Le problème est aussi, et surtout, mondial, et le président de la FSPF ne se montre guère optimiste pour l’avenir. « Je crains qu'il faille apprendre à vivre dans les années à venir avec un autre rapport aux médicaments », prophétise-t-il. Un aveu d’échec que tente de balayer coûte que coûte le LEEM (Les Entreprises du médicament) à l’aide d’un plan stratégique sur trois ans. Pointant les défaillances des pouvoirs publics qui n’assurent pas le suivi des concertations entre les parties prenantes, les industriels réclament un sursaut du gouvernement, y compris dans le volet fiscal qui pénalise, selon eux, les investissements dans l’Hexagone. Car au cœur de la stratégie sur trois ans destinée à mettre « à disposition des patients tous les traitements dont ils ont besoin » se place l’incontournable souveraineté sanitaire. La production en France et en Europe des molécules essentielles doit être garantie, assène le LEEM. Ce qui est aujourd’hui loin d’être le cas puisque la France importe 95 % des molécules, pointe Laurence Peyraut, nouvelle directrice générale du LEEM. Elle appelle à investir dans la recherche pour relocaliser une partie de sa production. Un autre impératif s’impose cependant, l’arrivée des innovations doit être accélérée. Car dans ce domaine également, la France est à la peine : sur le volet de la recherche clinique, l’objectif du LEEM est d’augmenter la participation de la France aux essais multinationaux « de 25 % » pour doper son attractivité. Autre requête récurrente : réduire à 100 au lieu de 160 le nombre de jours nécessaire pour mettre en place les essais.
Un monitoring des stocks
Voilà pour les orientations globales. Sur le terrain, les industries du médicament estiment qu’une meilleure fluidité de l’information, pourrait réduire les effets des pénuries, et proposent un élargissement du système d'information de gestion des stocks (TRACStocks) aux officines, via le DP, et aux grossistes répartiteurs. Ces derniers, de leur côté, ont créé il y a à peine un mois « L’observatoire de la disponibilité des médicaments ». Un monitoring de la disponibilité des produits, référence par référence, groupe de références par groupe de références et ce sur chaque territoire. Émanant des quelque 178 agences des sept grossistes-répartiteurs adhérents à la CSRP, soit la quasi-totalité du marché, ces données agrégées donnent une photographie de l’état des stocks de 11 000 références, semaine par semaine. Mais ce système a cependant ses limites. II lui suffit par conséquent de détenir une seule boîte pour qu’une agence soit déclarée en capacité d’approvisionnement sur le produit. Par ailleurs, ce monitoring des stocks des grossistes ne reflète pas celui des pharmacies. Système de mutualisation des données de chaque établissement, il ne peut pas non plus être utilisé comme instrument de péréquation entre agences de répartition en cas de surplus dans l’une et de pénurie dans l’autre. Pas davantage, il ne peut servir d’outil coercitif pour réduire le taux de ventes directes soupçonnées de désorganiser la répartition équitable des stocks sur le réseau officinal. Cette pratique qui s’est largement répandue pendant l’épidémie de Covid peine à refluer aujourd’hui et à renouer avec un taux de 20 %, admis comme supportable par les acteurs du marché. Ainsi au cours de l’année dernière, le taux de ventes directes pour certaines spécialités d’amoxicilline était de 60 %, voire de 100 %. Prenant note de cette dérégulation du marché, Emmanuel Déchin, rappelle cependant « Il ne revient pas aux grossistes-répartiteurs d’en décider. Les pharmaciens détiennent la liberté d’approvisionnement ». Une nouvelle fois, les cartes sont dans les mains des pouvoirs publics, la loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 conférant à l’ANSM des pouvoirs de police sanitaire pour interdire aux laboratoires les ventes directes dans certaines situations.
« De nouveau, nous sommes dans de très nombreux cas en rupture. On a vraiment un problème sur les antibiotiques. On ne s'en sort pas »
Philippe Besset, président de la FSPF
« Sur le volet de la recherche clinique, l’objectif du LEEM est d’augmenter la participation de la France aux essais multinationaux “de 25 % “ pour doper son attractivité »
Laurence Peyraut, directrice générale du LEEM
Sondage
La réponse est catégorique. À la question « Pénuries de médicaments : percevez-vous une amélioration ? », 93 % des 122 internautes ayant participé au sondage en ligne le 22 janvier sur le site du « Quotidien du pharmacien », répondent non.
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