Du jamais vu dans le monde de l’officine. À l’échelle nationale, les pharmaciens s’allient aux bouchers et aux boulangers pour défendre leurs centres-villes, selon eux en danger de mort face à la multiplication des centres commerciaux.
À la mi-mai, sous le slogan « Ne laissons pas s’éteindre les dernières lumières de la ville », la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF) et la Confédération nationale de la boucherie, boucherie-charcuterie et traiteurs (CFBCT) lanceront par voie électronique, mais aussi sous version papier, une pétition d’envergure nationale.
Il faut dire que ces deux métiers de bouche s’estiment, tout comme l’officine, fragilisés par les déséquilibres entre les centres-villes et les périphéries urbaines que dénonce la proposition de loi portée par deux sénateurs (voir encadré). Ce texte, qui sera soumis au vote des sénateurs en juin pour être ensuite présenté à l’Assemblée nationale à la rentrée, est dénommé Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et des centres-bourgs.
La pétition est donc destinée à appuyer les sénateurs en interpellant tant les élus locaux que les citoyens-consommateurs-patients. « L’idée est d’associer toutes les personnes qui franchissent les portes de nos structures. Les Français sont attachés à leur pharmacien, leur boulanger, leur boucher. Ils seront sensibles aux risques que représentent les dérives des centres commerciaux », explique Philippe Gaertner, président de la FSPF. Cette campagne fait écho à la campagne lancée en février dernier par le syndicat sur le thème « En France, une pharmacie sur deux va mourir » et qui, selon son président, a trouvé un accueil très favorable auprès des élus locaux.
Même combat
Au passage, le président de la FSPF ne résiste pas à la tentation d’épingler les maisons de santé, « aspirateurs à professionnels de santé », elles aussi facteurs, selon lui, de la dévitalisation des centres-villes. « Comment en assurer l’accessibilité dans ce cas aux personnes malades ou âgées ? », ne manque-t-il pas d’interroger.
Toutefois, la vague de la désertification dépasse largement le cadre médical, témoignent les trois représentations professionnelles qui rappellent « depuis 2010, le taux de vacance commerciale gagne un point chaque année. En 2016, 60 % des centres-villes affichaient un taux de vacance commerciale supérieur à 10 % ». Comme le souligne Jean-François Guihard, président de la CFBCT, pour illustrer cette désertification rampante des centres-villes, « quand une officine ou une boulangerie baisse le rideau, c’est qu’auparavant une boucherie a déjà fermé ses portes ».
Pour autant, précise Philippe Gaertner, « il n’est pas question d’imiter les zones commerciales, mais bien de rétablir le déséquilibre qui fragilise les plus petits d’entre nous et provoque la disparition des commerces de proximité dans les centres-villes. C’est une question d’aménagement du territoire ».
Lever les verrous
Les représentants des trois professions veulent désormais pouvoir lutter à armes égales. Or ils pointent les profondes disparités de traitements (fiscalité, réglementation urbaine…) dont font l’objet les commerces de proximité face à une grande distribution qui bénéficie de largesses en matière de coût du foncier, de réglementation du travail et de délivrances d’autorisation. Quand elle ne passe pas outre le respect des appellations.
« Nous n’avons ni la puissance financière, ni les lobbies de la grande distribution », admettent les trois organisations. Elles n’en misent pas moins sur le poids qu’elles représentent au niveau national en termes d’activité et d’emplois (voir encadré) pour se faire entendre des politiques et des pouvoirs publics. Bien décidés à donner un coup d’arrêt à cette concurrence déloyale et mortelle pour les centres-villes, les représentants des trois professions réclament des élus locaux, à l’instar du projet de loi du Sénat, des engagements forts en faveur des centres-villes tels que des allégements fiscaux, ainsi que des mesures renforçant l’attractivité des centres-villes (stationnement).
Rappelant que seuls les commerces de proximité sont dans la capacité de perpétuer la vie des communes, ils demandent à ce que soient levés les verrous aux rachats des entreprises. En effet, cette question n’est pas l’apanage des titulaires ; les bouchers et les boulangers, également importants formateurs d’apprentis, éprouvent eux aussi des difficultés à « installer » leurs jeunes. Or, comme le prédit Dominique Anract, président de la CNBPF, « si nous n'agissons pas, la transmission du savoir-faire et la formation vont disparaître avec le maillage commercial des centres-villes ». Il en va de la préservation de la vie dans nos territoires. Et aussi, d’un certain art de vivre à la française.
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