Le 10 novembre dernier, Marie-Hélène Lalande, titulaire jusqu'en mars 2022 d'une pharmacie à Petit-Couronne, en Seine-Maritime, s'est éteinte à l'âge de 68 ans. Elle a passé ses derniers instants, prononcé ses derniers mots, loin de chez elle. C'est en effet en Suisse que sa vie et les souffrances causées par la maladie auront pris fin, après six années passées à lutter contre un cancer du sein. Les chimiothérapies, les radiothérapies et sa combativité n'auront pas suffi contre ce cancer incurable, contre les métastases apparues progressivement au niveau de son cerveau, de sa moelle épinière et de son cou.
Après l'arrêt des traitements, Marie-Hélène Lalande savait ce qui l'attendait. « J'ai quelques mois à vivre qui vont se terminer par des métastases osseuses, elles vont grandir, elles vont casser les os, ce qui va faire mal. La fin ne va pas être sympathique », témoignait-elle dans un reportage diffusé en septembre par « France 3 Normandie ». L'officinale voulait partir comme elle l'entendait. Une expérience personnelle qui l'a convaincue de militer activement pour ce droit, pour elle mais aussi pour les autres, en s'engageant auprès de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD). Parce que la loi française n'offre pas d'autres solutions que la sédation profonde et continue jusqu'au décès, une solution qu'elle refusait catégoriquement, Marie-Hélène Lalande s'est donc rendue en Suisse, où l'assistance au suicide est autorisée dès lors que l'aide apportée n'est pas motivée par « un mobile égoïste », selon le Code pénal helvétique.
« J'ai la conviction d'avoir fait le bon choix »
Président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), Philippe Besset connaissait depuis une quinzaine d'années Marie-Hélène Lalande, présidente du syndicat de Seine-Maritime de 2009 à 2019 et administratrice de la FSPF de 2016 à mars 2022. Il a échangé avec elle tout au long des derniers mois de sa vie « Les métastases allaient toucher son cerveau et plus précisément l'hippocampe. À terme, elle n'aurait plus été en mesure d'exprimer sa volonté. Elle voulait prendre sa décision avant que cela n'arrive, explique Philippe Besset. Nous avons souvent évoqué ensemble la question de la sédation profonde jusqu'au décès, elle avait très peur de cette solution car son médecin lui avait expliqué que sa famille pourrait continuer à lui parler. Elle était terrifiée à l'idée d'entendre ses proches sans pouvoir leur répondre. » Quinze minutes avant que l'infirmière ne vienne lui apporter la solution létale, la pharmacienne a tenu à laisser un dernier message à ses confrères et consœurs. « J'ai toujours considéré ce moment avec sérénité. Là j'y suis, l'infirmière va arriver et je suis encore plus sereine. J'ai vraiment la conviction d'avoir fait le bon choix. (...) Ce dernier jour est un jour doux, un jour apaisé, je ne m'y attendais pas et c'est précieux », a-t-elle confié.
53 Français sont allés mourir en Belgique en 2022
En France, la loi Claeys-Leonetti, votée le 2 février 2016, permet aux patients dont le pronostic vital est engagé à court terme de « bénéficier de la sédation profonde et continue, en plaçant le patient au cœur du processus décisionnel en rendant ses directives anticipées contraignantes pour le médecin ». Elle réaffirme le droit du malade « à l’arrêt de tout traitement », mais reste bien plus restrictive que la législation appliquée dans certains pays européens. C'est le cas de la Suisse, où l'assistance au suicide est donc tolérée sous conditions, mais pas l'euthanasie active, des Pays-Bas et de la Belgique où le suicide assisté et l'euthanasie sont autorisés depuis 2002 (y compris pour les mineurs au terme d'une procédure très stricte), du Luxembourg qui a emboîté le pas à ses voisins en adoptant une loi similaire en 2009, et plus récemment de l'Espagne, qui a légalisé en mars 2021 le suicide médicalement assisté et l'euthanasie dans des conditions proches de celles des pays du Benelux.
Des malades en fin de vie, comme Marie-Hélène Lalande, se tournent donc vers l'étranger pour finir leurs jours. En 2022, 53 patients français ont choisi d'aller en Belgique pour bénéficier de l'aide active à mourir, d'après les chiffres de la Commission fédérale de contrôle et d'évaluation de l'euthanasie. Selon cette instance belge, dont les travaux ont été relayés par l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), ces patients étrangers « souffraient uniquement d'affection physique comme une sclérose latérale amyotrophique (SLA) ou maladie de Charcot, un cancer du poumon ou une polypathologie (comprenant un cancer ou des séquelles d'un AVC) ». Pour 79 % d'entre eux, le décès était attendu « à brève échéance ». Éviter les douleurs terribles liées à certaines maladies, préserver au maximum ses proches, décider librement de la manière de finir ses jours… Ce sont les raisons qui poussent chaque année des dizaines de Français à quitter leur pays, à passer leurs derniers jours loin de chez eux, parfois loin de leur famille. Un ultime voyage souvent vécu par ces patients comme un exil, parfois comme une punition. Avec le soulagement de savoir que l'on va éviter certaines souffrances, mais aussi avec la douleur d'imaginer ses proches rentrer en France en vous laissant derrière eux.
La Convention citoyenne sur la fin de vie demande des changements profonds
Conscient de longue date que la politique française sur la fin de vie se doit d'évoluer, Emmanuel Macron a ouvert la voie à un nouveau projet de loi sur le sujet « d'ici à la fin de l'été ». Une annonce faite début avril à l'issue des débats menés pendant de longues semaines par les membres de la Convention citoyenne sur la fin de vie (composée de 184 Français tirés au sort). Ces derniers ont été chargés de répondre à une question adressée par la Première ministre, Élisabeth Borne : « Le cadre d'accompagnement de la fin de vie est-il adapté aux différentes situations rencontrées ou d'éventuels changements devraient-ils être introduits ? ».
Après plus de trois mois de discussions, 76 % des membres de la Convention citoyenne se sont prononcés en faveur de l'ouverture de l'Aide active à mourir, mais à de strictes conditions : Il ne peut pas, selon eux, y avoir de tel acte sans que le patient n'ait auparavant bénéficié d'un accompagnement approfondi et qu'il ait pu, à tout moment, exprimer sa volonté. « Le discernement de la personne est une condition essentielle », affirme le rapport qui plaide également pour que la décision finale découle d'une « procédure collégiale et pluridisciplinaire ». Enfin, la Convention citoyenne a insisté sur l'importance de garantir une clause de conscience pour le personnel soignant. Comme il en a toujours été question, les conclusions de la Convention citoyenne ne seront toutefois pas reprises telles quelles. La balle est désormais dans le camp de l'exécutif.
Les réserves du ministre de la Santé
Le mois dernier, le ministre de la Santé, François Braun, a pris la parole et s'est montré très réservé sur l'adoption d'une nouvelle loi visant à favoriser l'aide active à mourir. « Quelle que soit l'option que nous mettrons sur la table, la priorité devra être donnée au renforcement de l'existant, a-t-il confié dans les colonnes du journal « Le Monde ». Par une plus grande appropriation des directives anticipées, par des professionnels de santé mieux formés, par un meilleur recours à la sédation profonde et continue jusqu'au décès : ce sont des outils que nous renforcerons en soutenant les soins palliatifs. (...) Si nous y arrivons, il y aura alors beaucoup moins de demandes d'aide à mourir », se dit-il convaincu.
Une position que rejoint Pierre-Olivier Variot. Le président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO) estime lui aussi que la priorité doit être de s'appuyer davantage sur ce que prévoit déjà la loi Claeys-Leonetti. « Nous sommes très loin d'avoir appliqué tout ce qui était prévu dans la loi de 2016. Plutôt que de légiférer dans l'urgence, il faudrait déjà utiliser l'arsenal disponible et faire plus pour accompagner les patients en fin de vie », estime le président de l'USPO, évoquant notamment la question de l'accès aux antalgiques. « Des unités de soins palliatifs prennent bien en charge les patients en France, certains ont pu finir leurs jours en étant bien accompagnés et sans souffrance. Malheureusement, ces unités ne sont pas assez nombreuses et ne disposent pas de suffisamment de moyens », regrette-t-il. L'USPO n'ayant pas arrêté une position globale sur ce sujet, Pierre-Olivier Variot s'exprime donc à titre personnel. Pour lui, le plus important est « d'éviter que des patients en arrivent à des décisions extrêmes, alors que l'on n’a pas fait tout ce qu'il était possible de faire pour limiter leurs douleurs ».
La FSPF favorable à une aide active à mourir sous conditions
De son côté, la FSPF a voté une motion sur la fin de vie, à l'issue d'une assemblée générale tenue fin novembre. Le syndicat « se déclare favorable au droit pour les Français en fin de vie de bénéficier, sur le territoire national, d’une assistance au suicide, dans les conditions qu’il appartiendra au législateur de fixer. La FSPF en appelle à une modification, en ce sens, du cadre légal de la fin de vie et demandera à ses représentants au Conseil économique social et environnemental (CESE) de soutenir cette position ». Plus récemment, la FSPF a également associé son nom à un appel lancé par plusieurs organisations professionnelles (dont l'ADMD) pour « la légalisation d'une aide active à mourir pour les personnes atteintes d'une maladie grave et incurable qui, en conscience et librement, la demanderaient ».
Interrogé par « le Quotidien du pharmacien » sur le regard qu'il porte à ce débat, le Conseil national de l'ordre des pharmaciens précise simplement avoir suivi « avec attention les travaux concernant l'aide active à mourir ainsi que leurs conclusions. Dans ce cadre, une réflexion sera prochainement menée sur ce sujet », annonce le CNOP.
Selon un récent sondage publié par le « Journal du Dimanche », une majorité de Français (70 %) se dit en faveur d'une aide active à mourir. Néanmoins, seulement 36 % des sondés envisageaient de recourir à l’euthanasie s’ils étaient atteints d’une maladie douloureuse et incurable.
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