Rien de surprenant. Centrée sur le questionnement des pratiques, la recherche clinique à l’officine se déploie au fur et à mesure que les missions du pharmacien se multiplient. Ce nouveau rôle d’officinal-chercheur étonne, interroge, séduit aussi de plus en plus de titulaires et d’adjoints désireux de donner une autre dimension à leur exercice professionnel. C’est également un axe valorisant pour la filière officinale, susceptible de démontrer aux étudiants que leurs compétences scientifiques ne serviront pas qu’au comptoir.
Ce phénomène récent, qui a émergé tant dans le cadre universitaire qu’au sein de groupements comme Totum, peut compter sur le soutien des pouvoirs publics. L’assurance-maladie appelle de ses vœux son extension par le biais du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM) qui, en septembre 2022 déjà, préconisait de recourir plus systématiquement aux pharmaciens d’officine. Que ce soit dans l’évaluation des bilans partagés de médication, les entretiens pharmaceutiques (asthme, AVK, AOD, anticancéreux oraux), la prévention, l’iatrogénie, la lutte contre les addictions, le dépistage ou encore les missions du pharmacien correspondant… À chaque nouveau rôle dévolu au pharmacien d’officine, s’ouvre un nouveau champ d’investigation.
On l’aura compris, les pouvoirs publics ne cachent pas leur intérêt pour une analyse en vie réelle des nouvelles pratiques. Par conséquent, alors qu’elle n’en est encore qu’à ses balbutiements, la recherche clinique à l’officine a de beaux jours devant elle. Ne serait-ce que par l’enthousiasme communicatif des pharmaciens qui la pratiquent. Fabrice Mitoumba et Eiya Ayed sont de ceux-là. Exerçant chacun au sein de l’une des deux MSP-U (maison de santé pluridisciplinaire détenant le label universitaire) que compte le département du Nord, ces diplômés de la faculté de pharmacie de Lille se sont lancés dans un doctorat de recherche clinique en soins primaires à l’officine. Pour Fabrice Mitoumba, titulaire au Faubourg d’Arras, à Lille-Sud, ce sont les médecins de la MSP-U à laquelle il appartient qui lui ont donné l’impulsion de sa démarche scientifique centrée sur la prise en charge par un entretien pharmaceutique des personnes transgenres. « Les médecins comme moi-même avions constaté que les personnes transgenres, vivant dans le quartier, avaient des difficultés dans leur parcours de soins. Les prescripteurs, dont certains sont aussi enseignants chercheurs, travaillaient déjà sur cette thématique lorsque j’ai rejoint la MSP, je me suis donc engagé sur la même voie qu’eux. » Le pharmacien apporte ses compétences, notamment sur le volet des effets indésirables produits par les hormonothérapies chez ces personnes qui, par manque de structures de prise en charge dédiée à leur problématique, s’approvisionnent sur Internet, souvent à doses très élevées. « Je me suis rendu compte que mes patients transgenres souffraient de ces effets et qu’ils attendaient depuis longtemps qu’on leur offre un parcours de soins sécurisé. »
Pour Fabrice Mitoumba, qui suit une cohorte d’une centaine de patients de son quartier, une grande partie du travail de recherche consiste à approfondir les connaissances en pharmacovigilance publiées par des CHU, notamment celui de Nancy. Quant à Eiya Ayed, jeune diplômée et adjointe à temps partiel dans une officine adhérant à la MSP-U de Wattrelos, la recherche clinique à l’officine a été le prolongement de son parcours universitaire. En même temps qu’une complémentarité de sa pratique au comptoir. « J’ai constaté lors du confinement une hausse des prescriptions en antidépresseurs. Celle-ci ne s’est pas tarie depuis et la question est aujourd’hui de savoir comment aborder la baisse de la consommation, voire la déprescription. » Deux jours par semaine, Eiya Ayed travaille ainsi au comptoir en lien direct avec les patients, soutenue par ses titulaires. « Nous sommes deux dans l’équipe à vouloir mettre en place des entretiens pharmaceutiques. Le côté humain que nous avons avec les patients encourage cette pharmacie clinique. » Deux fois par mois, environ, la jeune pharmacienne rencontre les prescripteurs de la MSP dont certains sont eux-mêmes engagés dans la recherche.
L’université, maillon fort et interface
La mise en œuvre d’entretiens pharmaceutiques est l’objet essentiel de la recherche clinique en officine. Tandis que la recherche pourrait être déclinée sur de nombreuses thématiques comme s’enthousiasme Eiya Ayed : « Il est étonnant qu’il n’y ait pas d’entretiens lancés sur le diabète. Ou encore autour des addictions. Il y a encore plein de sujets à développer. »
Mais la recherche clinique en officine peut également dépasser le champ des entretiens pharmaceutiques comme le propose Annie Standaert. Maître de conférences en parasitologie elle est aussi responsable du département de pharmacie officinale (UFR3S-Pharmacie) à la faculté de Lille : « il peut être élargi à d’autres formes d’accompagnement du patient en soins primaires, au dépistage ou encore à l’adhésion thérapeutique. Un projet de recherche vient ainsi d’être déposé qui porte sur l’impact de la décision médicale partagée sur l’observance du patient. On va ainsi interroger la capacité d’améliorer l’observance du patient et in fine sa qualité de vie en l’impliquant dans sa prise en charge. »
C’est une question de légitimité, fondamentale, si on veut aller jusqu’à une implémentation à grande échelle dans les officines.
Annie Standaert, maître de conférences en parasitologie et responsable du département de pharmacie officinale (UFR3S-Pharmacie) à la faculté de Lille.
Autres sujets de recherche clinique à l’officine qui pourrait être abordés : existe-t-il un modèle de coordination des soins en CPTS plus efficient qu’un autre ? Comparer l’efficacité d’un entretien thérapeutique à celui d’un entretien au comptoir… Quel qu’en soit le sujet, le travail de recherche s’articulera autour de l’université. « Il n’est pas question de se lancer ex nihilo mais bien de se recentrer sur la base scientifique qu’offre l’université. C’est une question de légitimité, fondamentale, si on veut aller jusqu’à une implémentation de ces entretiens à grande échelle dans les officines, par exemple », défend Annie Standaert. Cette caution universitaire sera d’autant plus recherchée dans la perspective d’un déploiement dans le cadre conventionnel avec l’assurance-maladie.
Avec rigueur et méthodologie, l’université soutient les officinaux-chercheurs, les aiguillonne : « il ne faut pas foncer tête baissée mais faire un état des lieux de ce qui a déjà fonctionné ou non, de questionner ces résultats. C’est une méthode de travail, une façon de s’interroger différemment. » Annie Standaert insiste sur ce rôle fondamental de l’université dont la fonction est selon elle « de former à la recherche, par la recherche ». « C’est en cela que la fac souhaite être une plateforme. L’idée est de mettre un lien entre tous les professionnels. De notre côté, nous avons des équipes de recherche fondamentale hospitalière. L’université est une espèce de plateforme, d’interface qui donne une légitimité à la démarche », décrit l’enseignante.
La recherche clinique en soins primaires est un moyen de valoriser la filière officinale auprès des étudiants.
Une autre vision du métier
Cette légitimité, les officinaux-chercheurs la perçoivent également au comptoir face à leurs patients. « J’ai commencé comme pharmacien titulaire puis j’ai élargi mes activités en devenant chercheur, en donnant des cours à la fac. Mes patients se sont intéressés, m’ont posé des questions, ils ne savaient pas que les pharmaciens pouvaient faire de la recherche. Ils ont été admiratifs en découvrant que leur pharmacien n’était pas seulement là pour dispenser des médicaments et analyser une ordonnance », témoigne Fabrice Mitoumba. « Mes patients ont été curieux, cela les a mis en confiance que je leur explique que la recherche était là pour mieux les accompagner. Ils n’avaient pas idée que cela pouvait faire l’objet de recherches, on était loin de l’image du chercheur et ses pipettes », expose Eiya Ayed. Pour les pharmaciens-chercheurs, cet engagement a un coût, en partie couvert par un financement via les MSP-U en lien avec l’ARS et la faculté, mais il nécessite également un investissement personnel en temps. « C’est un choix de vie, de carrière, une mentalité différente, c’est un état d’esprit car le métier d’enseignant-chercheur est un métier passion, le partage de la connaissance étant son leitmotiv », énonce Annie Standaert. Eiya Ayed voit dans cette approche scientifique une complémentarité avec le versant plus commercial du métier d’officinal. « La recherche nous permet de prendre le temps de sortir du comptoir, de se poser des questions sur ce qu’on a vu, d’y chercher des réponses. C’est un moyen de prendre du recul », décrit la jeune pharmacienne, convaincue que ce rôle de l’officinal permettra de sécuriser un métier actuellement très chahuté sur certains de ses aspects.
De manière plus générale, la recherche clinique en soins primaires est un moyen de valoriser la filière officinale auprès des étudiants. En effet, cela se travaille en amont, dès la faculté, comme le croit Annie Standaert : « Nous essayons de réfléchir à la façon d’amener nos étudiants à détenir des compétences scientifiques pour qu’elles puissent s’exprimer plus tard dans le métier. »
D’après une table ronde au « Forum de l’officine », Faculté de pharmacie de Lille, le 12 mars.
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