À la sortie de la CPPNI du 16 septembre, Christelle Degrelle, préparatrice et représentante du syndicat CFE-CGC, a le cœur lourd. Alors que ce nouvel échange entre représentants des salariés et du patronat devait enfin permettre de sortir de l’impasse, l’incompréhension entre les deux parties s’est en fait renforcée. « Les employeurs se moquent de nous, Nous n'avons pas de poids, nous sommes pris en otage. Les salariés sont les dindons de la farce », résume-t-elle avec amertume. Secrétaire fédéral Officine du syndicat Force Ouvrière (FO), David Brousseau est lui aussi tiraillé entre l’abattement et la colère. « Je suis assez dépité pour les salariés de la pharmacie », confie-t-il. Alors que les interminables négociations entre les représentants des titulaires et l’assurance-maladie portant sur l’avenant économique ont pris fin avant l’été, les salariés espéraient de réelles avancées après des précédentes CPPNI qui avaient rapidement tourné court. Objectif pour eux : faire comprendre aux titulaires l’importance d’accorder une hausse significative de leurs rémunérations, pour contrer les effets encore visibles de l’inflation et pour valoriser la montée en compétences de préparateurs et d’adjoints qui doivent assumer de plus en plus de nouvelles missions. La proposition formulée par la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a douché leurs espoirs.
Distinguer cadres et non-cadres : une initiative qui ne passe pas
La FSPF est en effet venue à la table des négociations avec une proposition pour le moins originale, que les représentants des salariés n’avaient pas anticipée : une augmentation de 2 % pour les salariés non-cadres et une revalorisation de 1 % pour les salariés cadres. Une proposition sur laquelle le syndicat est finalement revenu pour ne retenir que 1,2 % pour tous les salariés. « L’objectif de cette proposition, inédite en pharmacie d’officine, était de pouvoir améliorer plus fortement le pouvoir d’achat des salariés non-cadres dont les niveaux de rémunération les exposent davantage aux effets de l’inflation. À titre d’exemple, sur la base d’un coefficient 250 de préparateur et d’un coefficient 500 de pharmacien, cette augmentation différenciée aurait permis d’octroyer, dans les deux cas, une revalorisation identique de 38 euros bruts par mois », s’est justifié le syndicat présidé par Philippe Besset, dans un communiqué.
Distinguer les cadres et les non-cadres ? Une option balayée d’un revers de main par les salariés. « C’est la porte ouverte à la grille par catégorie : une pour les BP, une pour la licence… », explique David Brousseau, dont le syndicat (FO) espérait à l’origine une augmentation de la valeur du point de 6 %. « Cette proposition de la FSPF est inadmissible, renchérit Christelle Degrelle, porte-voix des préparateurs. Dans la foulée, les représentants des salariés ont présenté une proposition conjointe, poursuit-elle. Repositionner le SMIC sur le coefficient 100 et acter une augmentation de 2 % pour tout le monde. » Le syndicat de titulaires n’a pas accédé à cette demande, proposant, finalement, « une revalorisation de la valeur du point conventionnel de salaire de 1,2 % pour l’ensemble des salariés ». Nouveau refus catégorique de ce derniers et nouvel échec pour ces négociations salariales. « Si on avait accepté 1,2 % maintenant, avec les délais d’extension, les augmentations de salaires ne s’appliqueront pas avant début 2025. On ne pourra donc plus repartir en négociation début 2025 car on va nous dire que les salariés viennent d’être augmentés », explique en effet David Brousseau.
Vers une grève des salariés de l’officine ?
Pour Christelle Degrelle, les propositions de la FSPF sont un très mauvais signal envoyé aux salariés mais aussi aux étudiants, alors que la pharmacie souffre d’un très important déficit d’attractivité et figure dans le top 10 des métiers qui ont le plus de mal à recruter. « Pourquoi s'investir à passer un DEUST préparateurs pour être payés à peine au-dessus du SMIC ?, interroge-t-elle. Avant, la FSPF voulait attendre la fin des négociations avec la CNAM, maintenant ils veulent attendre d'avoir l'argent, à chaque fois il y a une raison pour repousser », dénonce-t-elle.
La colère est particulièrement perceptible chez les préparateurs, métier en pleine transformation et qui dispose désormais d’un Conseil national professionnel opérationnel. L’échec actuel des négociations salariales bloque d’ailleurs l’avancée d’autres dossiers importants pour cette profession. « Nous n'avons pas du tout parlé de la licence préparateurs, ni de la prime d'équipement, ni de la possibilité de raccourcir la durée de passage entre deux coefficients (un ou deux ans plus vite que la durée conventionnelle) ou de supprimer les premiers échelons, pour une entrée dans la grille au coefficient de 260. On ne peut pas aborder ce dernier point sans avoir obtenu une hausse significative des salaires », confirme-t-elle. Autant de déceptions qui font germer en elle le rêve d’une coalition des salariés de l’officine. Jusqu’à une grève ? « J’aimerais que l’on soit capable de s’unir comme nous l’avons fait récemment pour défendre notre métier aux côtés de nos employeurs contre certaines menaces comme la dérégulation de la vente en ligne. Nous avons des idées, c’est en phase de réflexion », prévient-elle.
On ne peut pas proposer plus, sauf à envisager des mesures comme des licenciements
Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO
« On ne peut pas donner ce qu’on n’a pas »
Après plus de deux heures d’échanges tendus, la FSPF a pris acte du refus des salariés. « La FSPF regrette le choix des organisations syndicales de salariés de poursuivre le blocage du dialogue social de la branche et de pénaliser ainsi employeurs comme salariés, sur l’ensemble des sujets de négociation mis ainsi en suspens. Alors qu’en juillet 2023, la précédente revalorisation des salaires s’élevait à 3 %, la FSPF tient à rappeler que, dans un contexte politique et social incertain, et alors que l’INSEE annonce une inflation ramenée à 1,8 % sur un an, une telle proposition représente un effort conciliant les intérêts des salariés et l’impératif de soutenabilité économique pour les entreprises officinales », estime le syndicat. Président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot avait obtenu mandat de son conseil d’administration pour une hausse du point de 0,5 %, finalement revue à 0,8 %. Pour lui, impossible également, au vu du panorama économique actuel de l’officine, de concéder davantage aux salariés. « On ne peut pas donner ce qu'on n'a pas. Les experts-comptables n'ont pas vu de bilans aussi mauvais depuis 30 ans. Les défaillances d'entreprises se multiplient, Les charges, notamment salariales, ont déjà énormément augmenté…, liste-t-il. On ne peut pas proposer plus, sauf à envisager des mesures comme des licenciements », analyse froidement Pierre-Olivier Variot. Il ne cherche cependant pas à se défausser, rappelant qu’il n’a jamais lié les négociations salariales à l’issue des négociations conventionnelles. L’USPO s’est déclarée prête à revoir sa copie. À l’issue d’un conseil d’administration extraordinaire du syndicat le dimanche 22 septembre, une nouvelle proposition, dont le montant n'a pas été dévoilé, a été avancée. Représentants des salariés et de titulaires sont donc encore très loin d’avoir trouvé un terrain d’entente. Quoi qu’il arrive, la situation restera en l’état jusqu’au 18 octobre, date fixée pour une prochaine CPPNI aux allures de rendez-vous de la dernière chance.
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