L’embellie n’aura été que de courte durée. En croissance de 18 % sur les trois dernières années, le marché des cessions de fonds est en repli de 7 % en 2019. Comme il ressort de l'étude « Prix et valeurs des pharmacies » d'Interfimo (1), 950 cessions de fonds d'officine ont été opérées l'année dernière, contre 1 020 un an auparavant. Un recul à peine amorti par le frémissement observé sur le marché des cessions de parts sociales. Au nombre de 570, celles-ci enregistrent une hausse de 1 %, soit un point de croissance en moins qu’en 2018. Résultat, le marché de la transaction officinale subit au global un retrait de 4 % et totalise 1 520 opérations en 2019.
Cet infléchissement se traduit par un ratio de 73 mutations pour 1 000 officines contre 75 pour 1 000 en 2018. Certes, ce niveau de mobilité du marché reste tout à fait honorable quand on songe que quatre ans auparavant on dénombrait uniquement 65 mutations pour 1 000 officines. Il n’en reste pas moins que ce ralentissement des rotations ne laisse pas d’inquiéter face à la transition démographique qui attend la profession. Les jeunes diplômés seraient-ils désormais plus frileux que leurs aînés pour opérer le grand saut ? Ou est-ce à dire que les prétentions des titulaires restent trop élevées ? La constance des prix relevée par l’étude Interfimo semble infirmer cette hypothèse. En effet, la tendance des ventes au « juste prix » se maintient. En moyenne, les officines se sont ainsi cédées en 2019 à 6,2 fois leur EBE (2). Un ratio qui se situe dans les niveaux observés au cours des dernières années : 6,1 fois l'EBE en 2018, 6,3 en 2017 et 6,2 en 2016 et 2015.
Une valorisation de la taille
Cette stabilité est cependant toute relative car il s'agit de moyennes. Ainsi, en 2019, plus d’une pharmacie sur cinq a été valorisée à plus de 7,5 fois son EBE. Cette asymétrie pourrait expliquer l’inflexion du volume de cessions durant l'année dernière. Alors que l’offre reste bien présente, départ à la retraite des baby-boomers oblige, les candidats potentiels à la reprise ont sans doute des difficultés à trouver une officine en adéquation avec leurs aspirations et surtout avec leurs moyens. Ceci d’autant que la force d’attraction de certaines régions joue en faveur des prix. Ainsi, la Corse et le Grand Est – marché structurellement marqué par la présence de grandes officines — ont vu les prix grimper, la valorisation des officines étant, dans ces deux territoires, la plus importante de l'Hexagone à 7,6 fois l’EBE ! Hormis ces deux régions, cinq autres régions connaissent une hausse des prix indexés à la rentabilité de l’officine (voir ci-dessous).
À l’autre bout de l’échiquier, le décrochage de certaines régions se poursuit. Les écarts interrégionaux déjà relevés au cours des années précédentes, se creusent en effet. C’est notamment le cas de la Bretagne et d’Auvergne-Rhône-Alpes dont les prix sont inférieurs à 6 fois l'EBE (voir ci-dessous), mais sont pourtant « proches de la moyenne nationale en pourcentage du chiffre d’affaires », relève l’étude Interfimo. Bien que de moins en moins usité, ce mode de valorisation des officines reste néanmoins un indicateur du marché. Là également, la stabilité des prix, équivalents à 76 % du chiffre d’affaires (3), n’est que façade. Car dans cinq régions, ce facteur est en baisse, atteignant même 68 % en Bourgogne-Franche-Comté qui accuse une perte de six points en un an ! Aucune surprise en revanche en Normandie et en Nouvelle-Aquitaine dont les prix élevés (83 % et 82 % du chiffre d’affaires) restent stables. À souligner la belle progression dans les DOM où ce facteur de valorisation a gagné cinq points en un an, à 82 % du chiffre d’affaires.
La dispersion du marché, toutefois, est moins géographique que typologique. « La prime à la taille » prévaut plus que jamais. Ainsi, remarque Interfimo, « les pharmacies réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires sont valorisées à 65 % de ce CA, celles de plus de 1,5 million d’euros de chiffre d’affaires sont cédées à un prix moyen de 84 % de ce CA ». Plus remarquable encore, comme le souligne l’étude, « en 2019, un écart de 27 points sépare les officines d’un chiffre d’affaires inférieur à 1,2 million et celles réalisant plus du double de chiffre d’affaires ». Nul doute que cette tendance nuit gravement au marché de la petite officine. Ainsi, à Paris et en Île-de-France, les officines dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1,5 million d’euros ne constituent plus qu’un tiers des transactions. Elles en composaient encore la moitié un an auparavant. À moins que ce marché ne se tarisse spécifiquement dans cette région.
Le crash test du Covid
Ces disparités qui sculptent d’année en année le marché des transactions ne sont que le reflet de l’environnement économique de la pharmacie. Car en dépit d'une progression de deux points d’un chiffre d’affaires essentiellement dopé par la vente de médicaments chers et une hausse toute relative de la marge brute globale, l’économie officinale ne peut cependant afficher une hausse significative de son EBE. En cause, des frais généraux et des frais de personnels irréversiblement à la hausse.
Résultat, la polarisation du marché entre officines rentables et officines « à la peine » se cristallise. Elle devrait même s’aggraver dans la période post-covid tant la crise sanitaire a frappé inégalement le marché officinal. « L’impact du confinement aura été différent selon l’implantation et la taille des officines », analyse Arnaud Loubier, président du directoire d’Interfimo. Les premières estimations tendent ainsi à identifier les officines de proximité comme les « gagnantes » de la crise en raison du capital confiance dont elles jouissent auprès de la population. Ces officines semblent par ailleurs avoir bénéficié plus rapidement de la reprise, au sortir du confinement. Leur aptitude à la résilience se reflétera-t-elle sur le marché de la transaction ? Les six mois à venir le diront.
(1) Les moyennes concernant les chiffres d'affaires exprimées dans l'étude Interfimo (à retrouver sur interfimo.fr) sont exprimées en pourcentage du chiffre d'affaires HT et reposent sur l'étude de plus de 900 cessions de fonds d'officine et de parts de sociétés, soit 60 % des mutations.
(2) Avant rémunérations et cotisations sociales.
(3) Pour la cinquième année consécutive.
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