Le Quotidien du pharmacien. - Quel était le contexte de votre présence en Ukraine ?
Véronique Vezia. - Je suis intervenue en tant que sapeur-pompier bénévole, grâce à la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, sur mes jours de congé, entre le 22 et le 30 mars. Notre rôle, mes collègues et moi-même, une fois arrivés au camp de Budomierz, était de venir en aide aux populations fuyant la guerre. Ces populations étaient en majorité des femmes et des enfants se déplaçant en car, en voiture, parfois même à pied, avec des blessures corporelles bénignes mais des pathologies mentales bien présentes. Les déplacés arrivaient de tout le pays Ukrainien : Kiev, bien sûr, mais également Marioupol, Kerkhiv, Kherson, et Lviv, à 80 km de là.
Quelle était la situation sur place ?
Elle était terrible, ces gens laissent tout derrière eux. Nous en avons vu arriver avec des petits sacs plastiques contenant toutes leurs possessions et en claquettes, alors qu’il faisait entre 0 et 5 degrés. Ils arrivaient avec des yeux tuméfiés, le regard hagard, certains en état de choc psychologique, trente à quarante personnes par jour voire plus. Certaines personnes venaient simplement faire une pause avant de continuer leur périple. Mais d'autres avaient vraiment besoin de se confier, et souffraient de problèmes de santé qui nécessitaient de l'aide sur place. Nous nous occupions d'eux pendant quelques heures, avant de les rediriger vers d’autres lieux d'accueil.
Notre camp était un camp d’accueil provisoire, intermédiaire où les personnes ne séjournent pas plus de quelques heures. Il était très bien organisé, avec quelques dizaines de tentes, abritant des cuisines, une église, des lits avec couvertures, des cartes SIM pour permettre aux déplacés de téléphoner gratuitement à leurs proches ainsi que notre dispensaire pour assurer les premiers soins. Les Polonais ont vraiment fourni des efforts colossaux pour garantir un accueil aussi agréable que possible malgré la situation.
Sur l’autre camp situé à Ustrzyki, une association sur place faisait la navette entre le centre d’hébergement provisoire et l'Ukraine, et traversait la frontière chaque jour pour amener des dons et revenir la nuit avec des Ukrainiens. Nous pouvions voir les résultats des bombardements de l'autre côté de la frontière, avec des colonnes de fumées noires à l'horizon.
Quelle aide apportiez-vous en tant que pharmacienne ?
Au niveau pharmaceutique, je me suis surtout concentrée sur le tri des médicaments et le contrôle des dates de péremption afin d'aider le personnel sur place. Ce n'était rien de très élaboré en soi, mais cela reste une activité indispensable dans un tel contexte. Nous avons aussi pris en charge une dame victime d'un cancer du côlon, dont la cicatrice issue de sa laparotomie s'était rouverte. Nous avons refait le pansement, puis organisé un transport en VSAV (véhicule de secours et d'assistance aux victimes) jusqu'à Cracovie, à plus de 3 heures de route. Elle était venue avec sa mère de 80 ans et sa petite-fille de 8 ans, complètement épuisée. C'était très poignant. Je me souviens aussi d'une dame, arrivée avec son fils qui avait de la tension, sans son traitement. Il devait avoir 18 ans dans 10 jours, et donc partir au front.
Qu'est ce qui vous a le plus marqué durant votre expérience ?
J'étais partie dans l'idée que j'allais gérer la pharmacie d’un poste médical avancé en situation de catastrophes, situation à laquelle j'ai été formée, avec des blessés qui arrivaient. Ce n'était pas ça, mais je n'ai pas du tout été déçue, au contraire. Nous étions là pour aider des gens, parfois en grande détresse psychologique, et ce contact avec eux, c'étaient des moments de partage et de solidarité très forts. Voir les enfants se remettre à rire et à jouer, leurs parents nous dire merci avant de repartir, c'est ce qui compte. Le sourire des déplacés, même en sachant que ce n'est que provisoire, est une récompense pour nous. Je n'ai qu'une envie, y retourner, pour faire encore plus pour eux.
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