Depuis la mise en place de la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) en 2009, la pharmacie clinique est entrée en officine et avec elle, de nouvelles missions d’accompagnement clinique du patient. La dispensation des médicaments se complète dorénavant avec les entretiens pharmaceutiques et les bilans partagés de médication. Le but ? Améliorer le suivi des patients et l’observance médicamenteuse.
Un entretien d’évaluation et deux entretiens thématiques
La convention pharmaceutique prévoit à ce jour plusieurs types d’entretiens pharmaceutiques pour les patients sous traitement chroniques, remboursés par l’assurance-maladie : le suivi des patients sous anticoagulants oraux, celui des patients asthmatiques sous corticoïdes inhalés et des patients sous anticancéreux oraux. Cet accompagnement comprend un entretien d’évaluation et deux entretiens thématiques, adaptés aux besoins du patient et réitérés chaque année. La rémunération est de 50 euros pour les accompagnements AVK/AOD/asthme la 1e année, 30 euros la 2e ; 60 à 80 euros pour les accompagnements « traitements anti-cancéreux au long cours » et « autres traitements anti-cancéreux » la 1e année, 20 à 30 euros les suivantes. Depuis sa publication au « Journal officiel » du 10 avril 2022, la nouvelle convention pharmaceutique propose également les entretiens femmes enceintes, également rémunérés (5 euros), afin de sensibiliser sur les risques liés à la consommation de médicaments pendant la grossesse, dont l’automédication, et sur l’importance de la vaccination, notamment antigrippale.
Les bilans partagés de médication pour les personnes âgées de plus de 65 ans et polymédiqués seront bientôt adaptés aux patients résidant en EHPAD
Autres mesures de suivi : les bilans partagés de médication pour les personnes âgées de plus de 65 ans et polymédiqués. Ils permettent de recenser et d’analyser tous les traitements d’un patient, puis de trouver des moyens d’améliorer l’observance thérapeutique et de réduire le risque d’effets indésirables et même le gaspillage. Quatre rendez-vous de 30 minutes maximum sont proposés et rémunérés : 60 euros la première année, 30 euros la deuxième année et 20 euros la troisième année, à condition d’honorer tous les rendez-vous de l’année. Ces bilans, inscrits depuis 2018 dans la convention nationale pharmaceutique, seront bientôt adaptés aux patients résidant en EHPAD. Enfin, depuis 2024, ce sont les bilans prévention aux âges clefs de la vie qui sont proposés en officine, toujours pris en charge par l’assurance-maladie. L’objectif ? Repérer les facteurs de risque de maladies chroniques et améliorer les comportements et habitudes de vie. Ce bilan, nécessitant un seul rendez-vous de 30 à 45 minutes au sein d’un espace de confidentialité, est rémunéré à hauteur de 30 euros.
L’envers du décor
Ne plus être cantonné à la délivrance des boîtes mais être actif dans le suivi et l’accompagnement des patients : ce louable objectif permet de revaloriser l’image du pharmacien et de l’ancrer profondément dans le paysage des professionnels de santé. Les pharmaciens ont d’ailleurs su se montrer très présents et réactifs lors de la pandémie du Covid-19 en appliquant des nouvelles missions de dépistage et de vaccination qui perdurent. L’enquête Call Medi Call pour « Le Quotidien du pharmacien », présentée lors de la 24e Journée de l'économie de l’officine le 20 septembre dernier, montrait que 3 pharmaciens sur 4 souhaitaient mettre en œuvre une nouvelle mission relevant de la prévention comme la réalisation de TROD, la remise des kits de dépistage du cancer colorectal sans oublier la vaccination.
Cependant, quand vient le moment de la pratique, il est plus difficile de mettre en application ces nouvelles tâches et d’y consacrer du temps. Dans cette même enquête, les raisons évoquées par les pharmaciens frileux de s’engager dans ces activités sont les suivantes : le manque de temps, pour 67 % d’entre eux, le manque de personnel (43 %) et le manque de place (19 %). En effet, d’après les textes, les entretiens, les bilans et les actions de prévention doivent se dérouler dans des espaces dédiés, séparés du reste de l’officine afin d’y assurer sécurité et intimité pour le patient. En outre, avant de prétendre être compétent dans ces différentes missions, la formation est obligatoire. Et qui dit formation, dit temps dégagé pour l’apprentissage en e-learning mais aussi, journées en dehors de l’officine pour la partie pratique de certains gestes (vaccination, réalisation de TROD).
Recourir à l’IA pour gagner du temps
De surcroît, la présence au comptoir, la gestion des produits manquants, les questions de personnels et les tâches administratives remplissent déjà les journées à l’officine. Guillaume Kreutter, pharmacien titulaire à Strasbourg, évoque différentes pistes pour dégager du temps précieux : « Dans beaucoup de pays, le pharmacien ne touche plus à la carte Vitale et ne s’occupe plus de la partie dossier administratif. Il faudrait pouvoir employer des personnes dédiées à cette partie non pharmaceutique. » Et plus audacieux, Guillaume propose même d’intégrer encore plus l’intelligence artificielle dans le fonctionnement de l’officine : « Plus besoin de préparateur ou de pharmacien pour passer des commandes et rechercher des produits manquants. » Une solution qui pourrait aussi pallier le manque de personnel pour ces nouvelles missions d’accompagnement.
Enfin, qui dit nouvelles activités, dit rémunération. Pour 6 % des pharmaciens interrogés dans l’enquête, la rémunération, trop faible est une barrière à leur engagement. À la question « les nouvelles missions sont-elles le nouvel Eldorado de l'économie officinale ? », les pharmaciens sont plutôt mitigés : 45 % sont convaincus que ces nouvelles rémunérations améliorent leur bilan, tandis que 39 % sont dubitatifs et 16 % ne se prononcent pas.
Alors, quel est l’avenir de ces tâches à l’heure de l’interprofessionnalité ? La jeune génération de pharmaciens est persuadée qu’elles sont indispensables pour garantir le meilleur accompagnement des patients et mettre en avant le rôle sous-estimé d’expert en médicament des pharmaciens. Mais ces mêmes patients sont parfois difficiles à recruter tant qu’ils sont sceptiques sur l’intérêt des entretiens et non désireux d’être d’honorer des rendez-vous à l’officine. Parions donc sur l’enthousiasme et la motivation des équipes officinales pour promouvoir ces nouveaux services et soins auprès de leur patientèle.
Les entretiens « opioïdes »
Toujours dans le cadre de la loi HPST, la CNAM (Caisse Nationale d’Assurance Maladie) prévoit de proposer des entretiens « opioïdes », sur le même modèle que les entretiens « femmes enceintes » en officine. L’intention ? Favoriser un meilleur accompagnement des patients sous opioïdes (tramadol, Lamaline et autres antalgiques de palier 2), en leur rappelant les règles de bon usage et surtout, de détecter tout mésusage voire une dépendance potentielle. Une initiative soutenue par les syndicats, notamment la FSPF. Le président, Philippe Besset, justifie ainsi le rôle du pharmacien comme « gardien des poisons ». La mise en place de ces entretiens est attendue ces prochains mois.
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